Ile de Sein: la chapelle Saint-Corentin et la navigation.
Sur l'île de Sein (Finistère), la chapelle Saint-Corentin est un des monuments touristiques les plus connus.
La chapelle Saint-Corentin. Auteur: Ji-Elle sous licence Creative Commons Wikipédia. Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Ile_de_Sein-Chapelle.jpg
Le propos de cet article n'est pas de dévoiler l'histoire de cette chapelle qui se perd à la fois "dans la nuit des temps", et dans les archives. Supposée avoir succédé à un oratoire, elle aurait été bâtie au 15° siècle, puis, tombée en ruine au 19° siècle, elle a été entièrement reconstruite et inaugurée en 1972 à l'initiative de l'abbé Yves Marzin, alors recteur de l'île.
Cette chapelle est rarement évoquée dans les ouvrages historiques. Jacques Cambry, dans son Voyage dans le Finistère en 1794, écrit:
François Audran, dans le bulletin de la Société archéologique du Finistère de 1882, écrit:
Michel Bataillard, dans son "Histoire de l'île de Sein", décrit les légendes qui lui sont attachées, ainsi que les pratiques auxquelles se livraient les femmes de l'île au cours de neuvaines visant à la guérison des malades, et surtout les hommes dans le cadre de leurs activités de pêcheurs.
En effet, les pêcheurs sollicitaient de saint Corentin qu'il fasse souffler le vent dans la bonne direction, et pour ce faire, ils tournaient dans le sens voulu la crosse d'évêque de la statue qui se trouvait dans cette chapelle. En cas d'insuccès, ils punissaient le saint en tournant la statue face contre la muraille, ou bien ils l'aspergeaient du jus de leur chique de tabac.
Saint Corentin avait donc alors une certaine importance pour les marins de l'île de Sein. Mais on peut se demander si sa chapelle n'avait pas également de l'importance pour tous les marins, locaux ou non, qui devaient passer le Raz de Sein et surtout la Chaussée de Sein, zone particulièrement dangereuse parce que constellée d'une multitude de rochers découvrant plus ou moins à marée basse.
Cet extrait de la "Carte de la Côte de Bretagne depuis Belle-Isle jusqu'au Pont des Saints" (1752), met en évidence la position de "l'île des Saints" entre la Chaussée de Sein à l'Ouest et le Raz de Sein à l'Est. Source: gallica.bnf.fr
La chapelle Saint Corentin se situe à l'Ouest de l'île de Sein, entre le phare de Goulénez et l'amer de Plas ar Skoul, repères pour la navigation qui n'existent pas avant le 19° siècle.
Sur cette carte postale, on situe les positions respectives du phare de Goulénez, de l'amer de Plas ar Skoul et de la chapelle Saint-Corentin.
Même à l'état de ruine, la chapelle avait conservé son clocher initial jusqu'au début du 20° siècle, et c'est peut-être lui qui pouvait servir d'amer (lors de sa reconstruction en 1972, c'est un clocheton de l'ancienne église du bourg qui fut substitué à l'ancien clocher de la chapelle).
Sur cette carte postale, si la toiture a disparu, la maçonnerie de l'ancien clocher est demeurée en place.
Avant la construction du phare et de l'amer, sur cette partie Ouest de l'île de Sein, relativement plate et peu élevée au-dessus du niveau de la mer, la chapelle Saint Corentin était donc la seule construction susceptible de servir de repère pour la navigation.
La chapelle Saint Corentin et l'amer de Plas ar Skoul.
Ce qui conforte l'hypothèse que cette chapelle ait été considérée comme un amer, c'est sa figuration sur de nombreuses cartes marines. Ainsi, cet ancien "Plan de l'isle des Saints et des isles adjacentes ainsi que des roches qui les environnent, les brasses d'eau qui se trouvent autour ainsi que dans le passage du ras, les mouillages, les pointes de plogoff ou du ras, de Sizun ou de cleden capsizun, les chiffres marquent les brasses d'eau" daté des années 1600, est incontestablement destiné aux navigateurs.
"Plan de l'isle des Saints et des isles adjacentes etc." édité en 16.. sans autre précision. Source: gallica.bnf.fr
C'est une des plus anciennes cartes qui ait été trouvée jusqu'ici, où la chapelle Saint Corentin est figurée ! Représenter cette chapelle sur une carte ou sur un plan n'a aucun intérêt pour les habitants de l'île qui n'ont pas besoin de cela pour savoir où se trouve cet édifice, pas plus que pour d'éventuels voyageurs visitant l'île de Sein dont on sait qu'ils étaient extrêmement rares à cette époque. Il est donc évident que cette carte a été dressée à l'intention des navigateurs.
"Plan de l'isle des Saints et des isles adjacentes etc." Détail. Source: gallica.bnf.fr
On retrouve la chapelle Saint Corentin sur des cartes marines ultérieures
"Carte topographique des costes maritimes de Bretagne depuis Audierne jusqu'au Port Christ" Détail. Source: gallica.bnf.fr
Curieusement, si la chapelle est bien représentée sur cette carte, elle y appelée "St Guildas".
"Carte topographique des costes maritimes de Bretagne depuis Audierne jusqu'au Port Christ" Détail. Source: gallica.bnf.fr
[Côtes de Bretagne, position des batteries] 16..-17.. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"5me carte particuliere des costes de Bretagne contenant les environs de la rade de Brest". 1693. Détail. Source: gallica.bnf.fr
(Carte de l'ile de Sein.). 17.. Détail. Source: gallica.bnf.fr
[Carte des côtes de Bretagne avec position et numérotation des batteries] 1700-1800. (Sans doute copie de celle datée de 16..-17.. ci-dessus) Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Costes de Bretagne [pointe de Luguénés - pointe de Lervily]". 1740. Même remarque. Détail. Source: gallica.bnf.fr
[Carte des côtes de Bretagne] 1750-1800. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Ile des Saints de Keranstrec". 1754. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Carte de la baye de Douarnenez et la coste de Bretagne depuis Dinant jusqu'au Bec du Ras". 1764. Source: gallica.bnf.fr
"Carte de la baye de Douarnenez et la coste de Bretagne depuis Dinant jusqu'au Bec du Ras". 1764. Détail de l'image précédente. Source: gallica.bnf.fr
[Ile de Sein]. 1771-1785. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Carte générale de la France dite de Cassini. 175, [Audierne - Rade de Brest]" . 1786. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Carte de la côte du département du Finistère". Vers 1790. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Carte de l'Etat major". 1820-1866. Détail. Source: geoportail.gouv.fr
Si la chapelle Saint Corentin n'est pas figurée sur la carte publiée en 1822 du "Pilote français. [première partie], Environs de Brest", elle apparaît dans les vues "depuis la mer" de cet ouvrage.
"Pilote français. [première partie], Environs de Brest". 1822. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Pilote français. [première partie], Environs de Brest". 1822. Détail. Source: gallica.bnf.fr
"Carte particulière des côtes de France/ Chaussée de Sein et passage du Raz de Sein". 1877, Détail. Source: SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine.
Carte simplement intitulée "Quimper". Levée en 1853, révisée en 1887. Détail. Source: mediatheques.quimper-bretagne-occidentale.bzh
"Atlas des ports de France Carte de l'Aber-Wrach à Audierne". 1894. Détail. Source: mediatheques.quimper-bretagne-occidentale.bzh
Un signal (aussi appelée pyramide selon la terminologie de l'époque), construit en 1817 par l'ingénieur-hydrographe Beautemps-Beaupré au lieu-dit Roujou, et surtout le phare de Goulénez, construit en 1839 à proximité de la chapelle, constituent évidemment des repères pour la navigation beaucoup plus efficaces que la chapelle Saint Corentin. Elle n'en demeure pas moins sur les cartes marines publiées après ces dates.
Son utilisation comme repère de navigation n'est évidemment qu'une hypothèse qu'aucun écrit, dans les archives, ne vient confirmer.