Un site remarquable à Plouhinec
A Plouhinec (Finistère), sur la côte entre les plages de Kersiny et de Mesperleuc, un site attire l'attention.
Le site remarquable vu de l'Ouest.
Aux alentours, les terrains qui bordent la falaise sont naturellement inclinés en direction de la mer. En revanche, cet endroit, presque horizontal, semble ne pas être d'origine naturelle mais voir été édifié de main d'homme.
Le même site vu de l'Est.
Par sa situation au sommet et au bord de la falaise, ce site rappelle les plateformes construites sur la côte du Cap Sizun pour hisser depuis l'estran le goémon d'épave avant qu'il soit séché et brûlé.
Si les plateformes des côtes d'Esquibien et de Primelin ont été maintenues par des murets de soutènement en pierres sèches, ce site, entièrement couvert de végétation, paraît être un amas de terre ou de sable.
A Primelin, les murs de soutènement d'une plateforme construite par les goémoniers au sommet de la falaise. En arrière plan, on aperçoit un mât de levage permettant de remonter le goémon de l'estran.
A la surface de ce site, des vestiges semblent confirmer la fonction originelle de ce site.
Il s'agit d'une part d'un trou circulaire dans un massif de béton.
En bas de cette photo, l'extrémité de la chaussure donne une idée de la dimension de ce trou.
Ce trou pourrait avoir servi à maintenir le pied d'un mât de levage.
Il s'agit d'autre part d'une pièce métallique scellée dans un autre massif de béton.
On peut imaginer que cette pièce métallique servait au maintien du mât de levage ou au treuillage du goémon depuis l'estran.
Brûleur de goémon sur la côte près d'Audierne.
A l'origine, le goémon d'épave (appelé localement bezhin distag) destiné à être brûlé dans les fours pour la production de pains de soude ou d'iode, était surtout composé de laminaires. Dans le Cap Sizun, cette pratique prend fin vers le milieu des années 1950.
Toutefois, des photographies aériennes de 1963 attestent de la persistance de l'exploitation du goémon sur cette partie de la côte de Plouhinec.
Cerclé de rouge (A), le site en question. Encadrés de rouge (B), il s'agit très probablement de petits tas de goémon. Cerclé de rouge (C), un ancien four à goémon toujours présent actuellement. Photographie IGN du 7 mai 1963. Source: remonterletemps.ign.fr
Plus à l'Ouest et plus proches de la plage de Kersiny, d'autres traces de l'exploitation du goémon. Cerclé de rouge (D), un autre four à goémon. Juste à côté de ce four, ce qui est vraisemblablement du goémon étalé sur la dune pour sécher (E). D'autres tas de goémon sans doute après séchage (F). Même source que ci-dessus.
En 1963, année de prise de ces photos aériennes, le goémon récolté sur la côte, comme celui que l'on voit sur ces photos, n'était pas brûlé pour en extraire la soude ou l'iode, mais il était livré aux industries pharmaceutique, cosmétique et agroalimentaire. Il s'agit du petit goémon, ou lichen carragahen (appelé localement bezhin bihan). Récolté par des particuliers, notamment des enfants et des adolescents, il était récupéré par des collecteurs (à Plouhinec, la famille Loussouarn).
Pendant la deuxième guerre mondiale, ce site est utilisé par l'armée allemande. Dans son ouvrage sur Plouhinec autrefois, Jean-Jacques Doaré nous dit:
«Entre les plages de Kersiny et de Mesperleuc, un poste de surveillance (une mitrailleuse) est implanté au bas de la dune de Penn ar Men, à l'ouest de l'actuelle impasse Hent-ar-Lenn.
Les sentinelles qui y sont affectées (une demie_douzaine) s'installent à Kervran, fin novembre 1942, dans la maison Patriarche, alors inoccupée (aujourd'hui 4 impasse du Sable-Blanc); elle leur servira de cantonnement jusqu'au 5 août 1944.» (Plouhinec autrefois. AS3P. Tome I. Page 320).
Image d'illustration sans rapport direct avec le site de Plouhinec. Tous droits réservés.
Ce poste de surveillance, sans doute très sommairement aménagé, complète les défenses de la côte en embrassant les plages de Kersiny, de Mesperleuc et de Gwendrez qui se trouvent sous les feux croisés des casemates de Karreg Leon et de Gwendrez.
Il se pourrait bien que les photographies aériennes de 1963 nous montrent un vestige de ce poste de surveillance allemand (il existe des photographies antérieures à celle de 1963 (1948, 1952 et 1961), mais leur résolution n'est pas suffisante pour discerner autant de détails que celle de 1963).
Sur ce plan large, on voit à la fois le site du poste de surveillance (cerclé de rouge) et la maison où s'étaient installés les soldats qui y étaient affectés (encadrée de rouge). Photographie IGN du 7 mai 1963. Source: remonterletemps.ign.fr
Sur cette vue plus resserrée, on distingue, encadrée de rouge, une structure en creux qui pourrait avoir été une tranchée destinée à abriter et à cacher les soldats du poste de surveillance allemand.
Ce sont initialement des soldats du 894° régiment d'infanterie qui occupent ce poste en plus de la casemate de Karreg Leon, avant qu'en 1943, ils soient remplacés par des soldats du 800° bataillon nord-caucasien, anciens soldats de l'Armée rouge ralliés aux allemands, et qui ont laissé de très mauvais souvenirs, en particulier à la population du pays bigouden.
Selon certains témoins, ce site aurait été arasé et aplani au début des années 1980 pour y installer le poste de surveillance des plages pour les secouristes (il s'agissait alors d'une caravane), et la pièce métallique supportait le mât du drapeau vert, orange ou rouge indiquant l'état de la mer et l'autorisation, ou non, de se baigner. Compte tenu de la distance entre ce site et les accès aux deux plages, les secouristes avaient bien du mérite s'ils devaient porter assistance à un baigneur.
Sur cette carte postale de la plage de Kersiny, on aperçoit le site depuis lequel la baignade était surveillée.
Sur cette autre carte postale de la plage de Kersiny, on aperçoit le mât portant le drapeau, et à son pied le poste de surveillance.
Détail de carte postale précédente.
Après le déplacement du poste de surveillance sur la plage de Mesperleuc, le site restera en l'état jusqu'à récemment, les traces des occupations successives disparaissant progressivement sous la végétation et sous l'effet de l'érosion pour ce qui était sans doute une tranchée.
En 2021, la municipalité de Plouhinec profite de la situation privilégiée de ce site pour y implanter deux chaises longues permettant de contempler le panorama qui s'étend de la pointe de Lervily à celle du Souc'h.
Concernant l'exploitation du goémon dans le Cap Sizun, je vous invite à consulter le très riche et très documenté article qui lui est consacré sur le blog d'Hervé Thomas: Le goemon nourricier du Loch (1)