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archeologie et histoire

Les quatre ponts d'Audierne

Publié le par DL

A Audierne, à l'extrémité du pont qui relie la commune à celle de Plouhinec, un massif de maçonnerie attire mon attention.

Il jouxte la culée du pont qui le recouvre en partie et il supporte une sorte d'anneau métallique et ce qui semble être l'axe de celui-ci.

Il s'agit d'un vestige d'un précédent pont.

C'est qu'entre Audierne et Plouhinec, le pont actuel n'est pas le premier, loin s'en faut.

[L'essentiel des informations chronologiques et des renseignements techniques qui suivent émanent du tome I de l'ouvrage de Jean-Jacques Doaré "Plouhinec autrefois".]

Le besoin d'une communication entre les deux rives du Goyen au niveau d'Audierne et Plouhinec est ancien et constant. Depuis longtemps, il a été partiellement satisfait par l'existence d'un "passage d'eau", c'est-à-dire d'un bac.

Le premier bac, sous la protection de saint Julien l'Hospitalier (ou saint Julien le Passeur) dont la chapelle domine la rive gauche de la rivière à Poulgoazec, assurait le passage entre la vieille cale de Poulgoazec et Pen ar C'hall Cam (la cale boîteuse), un peu en dessous de l'endroit où sera construit l'abri du marin d'Audierne. Protection de saint Julien pas toujours efficace, puisqu'en 1725, au retour d'un pardon à la chapelle Saint-Tugen en Primelin, 52 personnes se noient lors de la traversée. 

Le second bac sera établi plus en amont, entre Beg ar Chap à Plouhinec (un peu au Nord de Pen ar Marc'had) et le Stum à Audierne. L'endroit est beaucoup moins dangereux par gros temps. Les cales sur les deux rives du Goyen une fois achevées (25 décembre 1846), le bac entre en fonction dans les jours suivants.

Localisation des deux bacs successifs entre Plouhinec et Audierne. Plan du port d'Audierne levé en 1818. Le Pilote français. Source: gallica.bnf.fr

Mais un bac, outre qu'il est payant, s'il facilite le passage des piétons, ne permet le transport que de quantités limitées de marchandises. Et pour transporter par voie terrestre des charges importantes de Plouhinec à Audierne et inversement, il faut rallier Pont-Croix et passer le pont de Keridreuff. Ce détour représente plus de 10 kilomètres alors que, par endroits, le Goyen ne constitue qu'un obstacle de moins de 200 mètres entre les deux localités. Les échanges entre le Cap Sizun et le Cap Caval qui tendent à s'accroître, n'en sont pas facilités.

Carte d'état-major (1820-1866). A l'époque, l'extrémité de la Route Nationale n° 165, côté Audierne, et celle du chemin de Grande Communication n° 1, côté Plouhinec, se font face de part et d'autre du Goyen, et seul un bac assure la liaison. Source:  geoportail.gouv.fr 

Détail de la carte d'état-major.

Alors que le réseau des voies de communication s'améliore entre Quimper et Audierne et entre Audierne et la pointe du Raz, à Plouhinec, le chemin de Grande Communication n° 1 (actuelle D784 ou rue de Loquéran) se heurte toujours à l'obstacle du Goyen.

Le premier pont.

Depuis le premier tiers du 19° siècle, des études, des rapports, des échanges entre les municipalités et les administrations centrales se succèdent pour envisager de pallier à cet inconvénient. Ce n'est qu'en mai 1854 qu'un décret impérial déclare d'utilité publique les travaux de construction d'un pont entre Audierne et Plouhinec. Il sera implanté à l'endroit retenu pour le bac en 1846.

La construction du pont est achevée à la mi-mai 1856 et il entre en fonction le 24 juillet.

"Pont sur la rivière de Pont-Croix". Photographie de Jules Duclos. En arrière plan, l'anse du Stum et l'usine Delécluse. Source: gallica.bnf.fr

C'est un pont de quatre travées fixes de 18 mètres d'ouverture et d'une travée mobile centrale de 10 mètres d'ouverture. Cette travée mobile permet le passage des navires devant remonter le Goyen jusqu'à Pont-Croix. L'ensemble des cinq travées repose sur 4 piles en maçonnerie dans le lit de la rivière et 2 culées qui s'appuient sur ses rives.

La particularité de ce pont est que la travée mobile se compose en fait de deux ponts-levis se faisant face et permettant de relever deux volées de 5 mètres.

Détail de la photo précédente.

Un contrepoids en granit placé à l'extrémité de chaque balancier fait équilibre à 50 kg près aux volées de 5 mètres. 

Pour les travées fixes, des fermes en fer sont fixées sur les piles et les culées, et supportent des poutrelles en chêne sur lesquelles est posé le plancher de la chaussée. La largeur du pont est de 3,70 mètres (chaussée de 2 mètres et trottoirs de 0,85 mètre), réduite à 3 mètres pour la travée mobile. Un garde-corps court tout au long du pont.

C'est un pont à péage que l'on acquitte côté Audierne, dans une maison construite à l'origine pour le passeur du bac (le péage sera toutefois supprimé en 1868).

Une tempête survenue moins d'un mois après sa mise en service rend le pont inutilisable. Après réparation, d'autres incidents émaillent son existence, notamment en 1873, et son état général se dégrade, rendant son utilisation dangereuse. La circulation y est interdite en décembre 1881 pour entreprendre sa démolition et des travaux de reconstruction. Pendant la durée des travaux un petit bac est rétabli pour permettre le « transport des piétons, du menu bétail et des marchandises de moyen poids », le reste du trafic devant passer par Pont-Croix.

Le deuxième pont.

Il a été décidé de conserver les quatre piles existantes et les deux culées. Mais la nouvelle ossature est en fer renforcé et le plancher est remplacé par une chaussée reposant sur des voussettes en briques et ciment, recouvertes de béton et d'un empierrement. Après avoir envisagé de remplacer le système de ponts-levis par un pont tournant qui aurait nécessité de démolir une pile existant et d'en construire une autre, on décide de conserver l'ancienne formule à deux volées qui se relèvent, mais en l'améliorant: chaîne sans fin, roue dentée, pignon. 

Le 2ème pont vu depuis la rive de Plouhinec du Goyen.

Les fermes porteuses de chaque travée fixe sont renforcées par des arcs en treillis de poutrelles qui contribuent à la rigidité de l'ensemble.

Bien que ses quatre piles et ses deux culées soient celles de son prédécesseur, on peut considérer qu'il s'agit bel et bien d'un nouveau pont.

Il est ouvert à la circulation le 15 décembre 1882. Il sera rapidement surnommé "le pont métallique".

Le nouveau pont vu d'Audierne. On distingue la travée mobile entre les travées fixes.

La travée mobile composée de deux volées qui peuvent se relever. (Détail de la carte postale précédente)

En dépit de quelques incidents, le nouveau pont favorise le trafic routier.

Si le trafic maritime entre Audierne et Pont-Croix a beaucoup diminué, il demeure néanmoins nécessaire, ne serait-ce que pour approvisionner l'usine d'iode des frères de Lécluse au Stum ou celle de Pierre Schang à Keridreuff au fond de la ria.

Les ponts-levis sont ouverts pour laisser passer ce sloop qui se rend à Pont-Croix.

Tout supérieur qu'il soit par certains points au premier pont, le deuxième n'en subit pas moins l'outrage des ans. Notamment, un incident qui survient sur la travée mobile en 1922, interdit le passage des navires au grand mécontentement de marins qui restent bloqués en amont du pont. 

Des navires passent la travée mobile du deuxième pont.

Par ailleurs, depuis 1882, date de sa mise en service, les conditions de trafic routier ont beaucoup évolué et le pont devient notablement insuffisant, en particulier pour le passage des gros camions et des autobus. Au milieu des années 1920, la nécessité de remplacer ce pont se fait de plus en plus criante. Si le principe d'une reconstruction complète est rapidement acquis, la question se pose de garder une travée mobile. Pratiquement plus aucun navire ne remonte jusqu'à Pont-Croix à cause de l'ensablement de la rivière et de la désaffection des commerçants de la ville pour ce mode de transport. Mais les pêcheurs veulent pouvoir continuer à faire hiverner leurs bateaux en amont du pont sans avoir à démâter.

Le troisième pont.

Finalement, une solution est trouvée qui satisfait toutes les parties. L'intensification du trafic routier interdit de réutiliser les piles et culées des premier et deuxième ponts, et il est décidé une reconstruction complète, en aval de ceux-ci. Le projet est définitivement accepté en avril 1927 et les travaux débutent le 27 avril pour s'achever le 7 décembre. Le nouveau pont est aussitôt livré à la circulation.

Il comporte trois travées fixes; deux de 20 mètres d'ouverture et une de 30 mètres, ainsi qu'une travée mobile. Cette fois, pour cette travée mobile, on a opté pour un pont pivotant de 22 mètres libérant un passage de 10 mètres. Et, au lieu de se trouver au milieu de l'ouvrage, la travée mobile est reportée à l'extrémité du pont côté Audierne.

Sur cette carte postale, on distingue nettement la travée pivotante et la couronne qui la supporte.

Détail de la carte postale ci-dessus

La travée mobile est composée d'une structure métallique supportant des hourdis en béton armé. Elle repose donc sur une couronne en acier scellée sur la culée du pont et pivote en roulant sur des galets disposés à intervalles réguliers. C'est cette couronne en acier et son axe qui subsistent aujourd'hui et que l'on voit sur les premières photos de cet article. La travée mobile est manœuvrée à l'aide d'une manivelle.

Le troisième pont vu de Plouhinec.

Les travées fixes sont en béton armé. La largeur intérieure totale de 7 mètres comporte une chaussée de 5 mètres et deux trottoirs d'un mètre

Autre point de vue depuis Plouhinec du 3ème pont.

Dès 1930, la travée mobile ne fonctionne plus. Il se pourrait même qu'elle n'ait jamais fonctionné. La cause en est que, lors des grands marées, l'eau de mer atteint sa couronne et son axe en acier qui s'oxydent, phénomène que l'on constate encore aujourd'hui. Des réparations sont envisagées, mais jugées trop onéreuses en regard du service qui serait rendu. 

A ceci près, qui ne gêne que quelques patrons de bateaux, pendant près de 30 ans, le pont assure le trafic routier sans événement majeur.

En 1959, afin d'améliorer les conditions d'accès au port, on construit des "guideaux" qui prennent appui sur les piles du pont côté aval, et on ferme la passe côté Plouhinec. Cela a pour effet d'augmenter la hauteur d'eau au niveau de la passe centrale et de permettre le passage des bateaux sortant des chantiers navals en amont du pont.

Sur cette carte postale, on voit, contre la première pile côté Audierne, ce qui est vraisemblablement le chantier de construction d'un guideau.   

Détail de la carte postale précédente.

Sur cette photo aérienne du 19 avril 1967, on voit les trois guideaux construits en 1959-1960. Source: remonterletemps.ign.fr

En 1961, la structure du pont vieillissant, il est nécessaire d'étayer son tablier. On sera même obligé de l'interdire aux poids lourds, et une partie du trafic devra, comme quelques décennies plus tôt, être détournée par Pont-Croix. Au début des années 1970, la décision est prise, il faut construire un nouveau pont.

Le quatrième pont.

C'est celui sur lequel nous circulons aujourd'hui encore.

Retour aux origines. L'emplacement du nouveau pont est vite choisi: ce sera là où le tout premier pont avait été construit, c'est-à-dire directement en amont de celui bâti en 1927 et qui devra être démoli.

Le nouveau pont, construit en béton armé d'un seul tenant, repose sur 3 piles et mesure 12 mètres de large au total, avec des trottoirs de 1,60 mètre.

J'ignore la date exacte de sa construction. Partout, on lit "après 1970". Les deux ponts,  l'ancien de 1927 et le nouveau coexisteront quelques années.

Sur cette photo aérienne du 1er juillet 1976, on voit les deux ponts côte à côte: l'ancien en bas à gauche et le nouveau en haut à droite. Source: remonterletemps.ign.fr

Sur cette carte postale, le nouveau pont est au premier plan et l'ancien pont, légèrement plus bombé, est au second plan.

Détail de la carte postale ci-dessus.

Sur cette autre carte postale, on voit les deux ponts côte à côte. Le nouveau est ouvert à la circulation des véhicules et l'ancien est sans doute réservé à celle des piétons.

L'ancien pont (le troisième) est supprimé entre août 1976 et juin 1978.

Sur cette photo aérienne du 19 juin 1978, seul subsiste le nouveau pont. De celui qui l'a précédé, il ne reste que 3 des piles. Source: remonterletemps.ign.fr

Photo aérienne de 2018. Source:  geoportail.gouv.fr

Mai 2020. A droite, le pont actuel, à gauche, les 3 piles du pont de 1927, les guideaux et la maçonnerie fermant la passe côté Plouhinec.

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L'usine de l'îlot Saint-Michel à Douarnenez.

Publié le par DL

A Douarnenez, le 8 mars 2020, face au port de Tréboul et entre la cale du Guet et l'île Tristan, à marée haute, des vestiges de maçonnerie émergent de quelques dizaines de centimètres de la mer.

Vue prise de Tréboul. 8 mars 2020.

Ces vestiges se trouvent sur l'îlot Saint-Michel, parfois appelé l'île Saint-Michel.

Au point de vue topographique, l'îlot Saint-Michel fait partie d'un haut-fond rocheux qui relie sans discontinuité la pointe du Guet de Douarnenez à l'île Tristan.

Sur cette photo aérienne, on distingue nettement le haut fond rocheux entre la pointe du Guet et l'île Tristan. Source: I.G.N. / Géoportail

Si l'on sait qu'une usine a été bâtie sur cet îlot au 19° siècle, il est assez difficile d'en cerner l'histoire, tant les archives qui la concernent sont rares.

A marée basse, face à la cale du Guet (à droite), l'usine de l'île Saint-Michel. Le haut fond rocheux est alors à découvert.

Selon Henri Bourde de la Rogerie, «L'îlot de Saint-Michel [...] fit partie du domaine de l'Etat jusqu'à 1848, date de sa concession à une fabrique de conserves. Des endiguements autorisés en 1853 ont notablement augmenté la superficie et la valeur de ce rocher.» ("Le prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'île Tristan". Bulletin de la Société Archéologique du Finistère de 1905, page 242.)

Toutefois, rien n'indique qu'une "fabrique de conserves" soit bâtie sur l'îlot Saint-Michel dès 1853.

A Douarnenez, premier port sardinier de France dans la première moitié du 19° siècle, c'est encore la technique de la presse qui prévaut pour conserver la sardine (150 ateliers en 1832, 90.000 barils de 80 kg en 1850). 

Douarnenez, premier port sardinier de France.

Le pressage des sardines consiste à les entasser, mêlées à du gros sel dans des barils, et à les presser pendant 8 à 10 jours au moyen d'une poutre lestée. Leur huile, qui s'écoule alors par les trous percés au fond du baril, est récupérée pour servir dans les lampes à huile. Les sardines ainsi traitées peuvent se conserver plusieurs mois et s'exportent même à l'étranger.

Depuis les années 1830, un nouveau procédé se développe, l'appertisation, qui consiste à stériliser les sardines par la chaleur dans des boîtes en fer blanc remplies d'huile et au couvercle scellé par soudure puis par sertissage. Cette nouvelle méthode de conservation des poissons, inaugurée à Nantes, gagne progressivement toute la côte atlantique et arrive à Tréboul en 1853, avant que n'ouvrent les premières "fritures" dans Douarnenez même à partir de 1860.

Les Chancerelle ouvrent une première usine dès 1866 à Douarnenez.

On n'a de certitude sur l'ouverture d'une usine sur l'îlot Saint-Michel par un certain Le Gall qu'en 1879-1880 (Archives départementales du Finistère et archives municipales de Douarnenez, citées par Jean-Michel Le Boulanger dans "Douarnenez de 1800 à nos jours" page 98).

On imagine l'ampleur et la difficulté relative des travaux d'endiguement et de remblai qui ont été nécessaires pour aménager la plateforme appelée à recevoir cette usine, puis les travaux de construction des bâtiments eux-mêmes. Les matériaux ont vraisemblablement été charroyés depuis la cale du Guet uniquement lorsque les coefficients et les horaires de marée permettaient aux attelages de tombereaux d'accéder à l'îlot à pieds (presque) secs.

Il n'est donc pas surprenant qu'il ait fallu attendre 26 ans après l'autorisation d'endiguement donnée en 1853 pour que l'usine soit prête à fonctionner en 1879. Quoi qu'il en soit, en 1880, c'est fait, Henri Le Gall a obtenu sans difficulté l'autorisation d'ouvrir sa "friture" sur l'îlot Saint Michel. Il faut dire que son établissement ne gêne personne, contrairement à d'autres, dans Douarnenez même, qui font face à l'opposition de riverains disant redouter les odeurs, les fumées et les risques d'incendie.

L'usine Le Gall, sur l'îlot Saint Michel (cerclée de rouge), et à droite de cette carte postale, d'autres "fritures les pieds dans l'eau", sur la rive droite du Port Rhu ou "rivière de Pouldavid" (à l'emplacement de l'actuel boulevard Camille Réaud). Derrière et à droite de l'usine Le Gall, on voit les bâtiments d'une autre usine de conserves, établie en 1860 par Gustave Le Guillou de Penanros sur l'île Tristan.

On pourrait s'étonner du choix d'implanter une usine sur un si petit espace isolé par la mer à chaque marée, avec toutes les difficultés que cette insularité entraîne pour les approvisionnements en matières premières, en combustible pour les chaudières d'appertisation, pour le transport de la main d'œuvre, pour celui des produits finis, etc. L'avantage de ne pas incommoder le voisinage paraît de bien peu de poids face à ces inconvénients.

Mais aux yeux de Henri Le Gall, cette situation a sans doute constitué un atout non négligeable: son îlot et son usine se trouvent aux avant-postes à l'heure du retour au port des pêcheurs, les chaloupes pleines de sardines. En ces temps de concurrence féroce entre conserveurs, c'est important.

"Douarnenez - Les Commises des Confiseries de Sardines achetant le poisson au passage des bateaux à l'extrémité du môle" 

"Industrie Sardinière en Bretagne - Les Commises des Usines achetant aux enchères, les Sardines à la rentrée des Bateaux de pêche" (La scène se déroule également à Douarnenez)

D'ailleurs, la rade qui se trouve à l'Est de l'îlot, dite "rade du Guet", sert de mouillage à une partie de la flotte sardinière. La proximité de l'usine est peut-être également un atout pour ces pêcheurs.

"Douarnenez - Le mouillage de Saint-Michel". Une partie de la flotte sardinière mouille dans la rade du Guet, relativement abritée. Sur la droite de l'île Tristan, on aperçoit l'îlot du Flimiou avant qu'une jetée ne le relie à la terre. Source: Musée de Bretagne.

A l'Est de l'îlot Saint-Michel, du côté de la rade du Guet (ou "mouillage de Saint-Michel"), une cale servant à l'accostage des barques et au déchargement des sardines avait été aménagée.

La cale, à la pente assez raide. Carte postale "Douarnenez Ile Saint-Michel et île Tristan" Détail.

De quoi se composait cette usine ? Pour autant qu'on puisse en juger d'après les photos et cartes postales disponibles, elle comportait des bâtiments industriels et une maison d'habitation.

La maison d'habitation.

Sa façade principale, orientée classiquement au Sud pour profiter de la chaleur et de la lumière du soleil, a des murs enduits et sans doute chaulés ou peints en blanc. Elle comporte un rez-de-chaussée et un étage, couvert d'une toiture d'ardoises à deux pans, percée de deux lucarnes. 

Son organisation est classique pour l'époque: entrée en milieu de façade, une pièce de chaque côté du couloir central, sans doute un escalier au fond du couloir, desservant deux ou trois pièces à l'étage. Une cheminée à chacun des pignons.

Il s'agit probablement du logis du propriétaire, d'un contremaître ou d'un gardien et de sa famille.

La maison d'habitation. Carte postale "Douarnenez. L'île Tristan et l'île Saint-Michel. Vue prise de la cale du Guet". Détail.

Les bâtiments industriels.

On distingue 3 bâtiments principaux. Ils font apparemment tous la même longueur.

Le premier (bâtiment n° 1), accolé à l'arrière de la maison d'habitation, est deux fois plus large que celle-ci (voir la photo ci-dessus). Couvert d'un toit à une seule pente, il jouxte apparemment un espace découvert. Une porte dans le mur Ouest qui clôt cet espace découvert permet certainement d'accéder à un appentis extérieur qui pourrait être une réserve de bois de chauffage. 

Façade Ouest de l'usine de l'îlot Saint Michel. Carte postale "Douarnenez. Le mouillage de Saint-Michel". Détail.

Sur d'autres photos, on voit ce qui est vraisemblablement une cheminée de forme plus ou moins pyramidale, au-dessus de ce premier espace découvert. C'est donc probablement là que se trouvait la chaudière pour l'ébouillantage en autoclave des boîtes de sardines.

La cheminée. Cartes postales "Douarnenez. L'île Tristan vue de la cale du Guet" et "Douarnenez. Vue générale prise de Tréboul. L'île Saint-Michel". Détails.

Une salle d'ébullition dans une autre usine de Douarnenez.

Le bâtiment n° 2 est de loin  le plus imposant. Couvert d'un toit d'ardoises à quatre pans, il comporte visiblement un rez-de-chaussée et un étage, et ses deux pignons, Ouest et Est, sont percés de fenêtres sur sur les deux niveaux. On peut soupçonner la présence de lucarnes sur la toiture.

Les façades Ouest et Est du bâtiment n° 2. Cartes postales "Douarnenez. Le mouillage de Saint-Michel" et "Douarnenez. Un coin de la plage des Dames". Détails.

Une porte simple se trouve sur le pignon Est, du côté de la rade du Guet, et une autre, à double battant, sur le pignon Ouest, du côté de Tréboul, donne accès à une rampe inclinée qui permettait sans doute le transport de produits et marchandises à marée basse depuis ou jusqu'à la cale du Guet.

Faute de plus d'informations, la fonction précise de ce bâtiment reste indéterminée.

Le bâtiment n°3 est aussi long, mais moins large que le bâtiment n°2, et il comporte également deux niveaux. Lui aussi couvert d'un toit à quatre pans en ardoises, il est équipé de deux cheminées sur sa façade Nord, côté île Tristan. Une porte sur son pignon Ouest donne accès à l'extérieur.

Le bâtiment n° 3 vu de l'Ouest. Carte postale "Douarnenez. Le mouillage de Saint-Michel". Détail. On ne dispose pas de vue du pignon Est suffisamment lisible.

La fonction de ce bâtiment n°3 reste également indéterminée.

Entre les bâtiments n° 2 et n°3, un espace non couvert (une "cour") servait certainement à l'étêtage et au séchage des sardines, premières étapes de la préparation. Elle n'est fermée par un haut mur que du côté Ouest.

Etêtage et séchage des sardines, ici, dans une autre usine de Douarnenez.

Les bâtiments n°2 et n°3 abritaient donc les étapes suivantes de fabrication: engrillage des sardines, mise en boîte, huilage, soudure ou sertissage des boîtes, nettoyage des boîtes, etc.

Dans une autre usine de Douarnenez, les ouvrières, coiffées de la penn sardin, mettent les poissons en boîtes.

En 1887, Henri Le Gall vend son usine à Eugène Péreire. Que se passa-t-il pour que le conserveur, qui avait ouvert son établissement en 1880, cède son affaire aussi rapidement ? Mauvaise gestion ? Difficultés financières ? Problèmes d'ordre familial ? Apparitions et disparitions de la sardine trop erratiques dans le Finistère?

Quoi qu'il en soit, c'est Eugène Pereire, alors président de la Compagnie générale transatlantique, de la Banque transatlantique et intéressé à divers titres  dans une multitude d'autres sociétés, qui devient ainsi conserveur à Douarnenez. Dix ans plus tôt, il avait déjà tenté de s'y implanter, mais en vain. 

Eugène Péreire.

Lorsqu'en 1890 la Société générale d’industrie sardinière de France, « Sardine Union Limited », est créée à l'instigation du financier pour défendre les intérêts de tous les conserveurs de France, son usine de l'île Saint-Michel figure dans la liste des adhérents, au même titre que son usine de Larmor dans le Morbihan.

The Freeman's Journal de Dublin du 7 juillet 1890. Source: The British newspaper archive.

Eugène Pereire décède le 20 mars 1908 à Paris. Que devient son usine de l'île Saint-Michel ? Il semble qu'elle ne soit plus en activité en 1917 (Source: http://jose.chapalain.free.fr).

Ses bâtiments ne tardent pas à se dégrader et elle serait en ruine en 1926 (même source).

Il semble qu'il y ait des trous dans la toiture du grand bâtiment de l'usine (bâtiment n°2), et qu'une partie du pignon Est du bâtiment n°3 se soit écroulée. Carte postale "Douarnenez. Un coin de la plage des Dames" Détail.

Toutefois, si les bâtiments industriels se détériorent, la maison d'habitation est encore occupée. Au recensement de Douarnenez de 1926, deux familles de respectivement 7 et 4 personnes habitent l'île Saint-Michel (Source: Archives départementales du Finistère, citée par http://jose.chapalain.free.fr). 

Photo aérienne du 26/09/1929. L'usine semble encore debout, même si elle est en mauvais état. Source: https://remonterletemps.ign.fr/

C'est au cours de la seconde guerre mondiale que les occupants allemands achèveront ce qui restait de l'usine de l'îlot Saint-Michel en rasant les bâtiments et la maison d'habitation qui gênaient l'angle de tir de l'artillerie installée dans l'île Tristan.

Photo aérienne du 09/08/1947. L'usine a été rasée. On voit que la rade du Guet sert toujours de mouillage à des bateaux. Source: https://remonterletemps.ign.fr/

Aujourd'hui, les seules traces matérielles qui rappellent le souvenir de la conserverie Le Gall sont quelques maçonneries entre la cale du Guet et l'île Tristan. Il reste aussi des images sous forme de cartes postales qui attestent que sur ce minuscule îlot, il y eut une usine où des hommes, et surtout des femmes, ont contribué à la prospérité de Douarnenez, souvent pour des salaires de misère. En voici un diaporama, à visionner, de préférence, en "plein écran":

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La batterie de Créménec en Plouhinec

Publié le par DL

Sur la côte Sud de Plouhinec (Finistère), au niveau de Roz Lezarouan, une pointe rocheuse s'avance, une vingtaine de mètres au-dessus du niveau de la mer.

Si on en croit l'Etude normative des toponymes de la commune de Plouhinec (Office de la langue bretonne / 2009), cet endroit s'appelle maintenant Kermeur Lanneg. La plus ancienne graphie connue de ce toponyme, remontant à 1426, serait Quémeur, qui viendrait du mot vieux-breton Cai, retranchement, et de l'adjectif meur, signifiant grand, important.

Marguerite Le Bars, dans sa Recherche du passé [de Plouhinec] à travers le cadastre et les réformations (Revue Gwechall / 1980), parle d'un manoir de Quémeur, et de Guermeur (1445). Henri Pérennès signale, lui aussi, un manoir à "Guermeur, à Jehan Kerangar", lors de la Réformation du domaine ducal de 1455 (Plouhinec et Poulgoazec, Monographie de deux paroisses / 1942).

Il n'est pas surprenant qu'en raison de sa position particulière, assez facilement défendable, on ait fait de cet endroit un retranchement et qu'on y ait construit un manoir. Entre la plage de Kersiny et la grève de Saint-Julien, c'est, avec la pointe de Karreg Léon, un des points les plus élevés de la côte (une vingtaine de mètres). 

Après une évolution de ce nom de lieu sous différentes graphies, on est donc arrivé aujourd'hui à cette forme de Kermeur Lanneg. Toutefois, on peut noter que selon l'Etude normative pré-citée, il avait été écrit Cremenac en 1693.

               C'est sans doute de cette carte de 1693 que l'Etude normative des toponymes de Plouhinec tire cette référence à la graphie Créménac. 6ème carte particulière des costes de Bretagne ... par Charles Pene. 1693. Source: gallica.bnf.fr

C'est sous une forme approchante, Créménec et ses variantes (Créménec'h, Créménet, Tremenec, et même Treguennec en Plouhinec !) , que ce lieu a laissé le plus de traces dans la littérature.

En effet, c'est à cet endroit qu'avait été établie la "batterie de Créménec".

Sur cet extrait de la carte ci-dessus, on voit qu'un édifice a été figuré au niveau de la pointe de "Cremenac". S'agit-il déjà d'un dispositif de défense de la côte ?

Les prémices d'une organisation visant à protéger les côtes du duché de Bretagne et du royaume de France remontent au Moyen Age. C'est d'abord le guet de la mer, c'est-à-dire la surveillance des côtes par les habitants des paroisses littorales,  Il s'agit surtout de repérer les navires susceptibles de présenter un danger pour les habitants du littoral, les pêcheurs ou le cabotage commercial, et d'en avertir les autorités. De simples corps de garde sont établis à des distances permettant de communiquer entre guetteurs au moyen de signaux.

La capitainerie d'Audierne en 1734. Sur cette carte, on peut remarquer qu'il n'est encore figuré aucun corps de garde à Plouhinec, contrairement à Plogoff, Primelin, Esquibien, Audierne, Plozévet ou Plovan. Source: gallica.bnf.fr

Au guet de la mer se substituent, au 18° siècle, les milices garde-côtes regroupées en capitaineries. Si leur mission est encore de surveiller le littoral, les milices garde-côtes sont aussi en charge de sa défense.

Un règlement du 12 mars 1726 détermine l'étendue des 29 Capitaineries de garde-côtes de Bretagne. Plouhinec relève de la Capitainerie d'Audierne qui comprend alors 41 paroisses du Cap-Sizun, du Cap-Caval et d'une partie de ce qu'on appelle aujourd'hui le pays Glazic, jusqu'aux portes de Quimper (Penhars, Plomelin).

La XIV° capitainerie de garde-côtes d'Audierne. Réglement pour la division et l'estenduë des Capitaineries Garde-Costes de Bretagne du 12 mars 1726. Source: gallica.bnf.fr

On le voit, la surveillance et la défense des côtes est l'affaire de toutes les paroisses, y compris celles qui n'ont pas de littoral (comme Pouldergat, Meilars, Penhars, Landudec, etc.), alors qu'en principe, devraient en être dispensées celles qui se trouvent à plus de 2 lieues de la mer. Toutefois, si beaucoup de paroisses du littoral sont en charge de la surveillance des côtes, toutes ne sont pas dotées de moyens de défense. 

La date d'édition de cette carte intitulée [Côtes de Bretagne, position des batteries], est imprécise (16..-17..), mais elle est sans doute postérieure à 1734 puisque, contrairement à la carte précédente, une batterie est figurée à Créménec. Cela pourrait donc être le plus ancien document cartographique attestant la présence de cette batterie. Source: gallica.bnf.fr

C'est donc au cours du 18° siècle que la côte Sud de la Cornouaille, et Plouhinec en particulier, sont vraiment dotés de moyens de défense. La Guerre de Sept ans, qui oppose notamment la France à l'Angleterre (1756-1763) a sans doute incité a établir des points de défense et à renforcer ceux qui existent. Il s'agit d'empêcher des débarquements anglais et des incursions de corsaires sur la côte.

A Plouhinec, le lieu retenu, Créménec, n'est pas choisi par hasard. C'est à la fois sa proximité avec l'entrée du port d'Audierne et sa position élevée qui en font un site intéressant. En effet, de l'avis de certains stratèges, il est recommandé que les batteries de canons se trouvent à une altitude comprise entre 7 et 9 toises (14 et 18 mètres) pour que leurs tirs atteignent un vaisseau distant de 100 toises (200 mètres), tout en restant à l'abri des tirs de celui-ci, les navires de l'époque ne dépassant généralement pas 2 à 3 toises d'élévation au niveau de leurs batteries de canons.

Sur cette carte des côtes de Bretagne (date d'édition 1750-1800), on voit que la batterie de la "Pte deTremenec" peut croiser ses feux avec ceux de la "Pte d'Audierne". Toujours à Plouhinec, un corps de garde (C.G.) est établi à la "Pte du Corbeau".

C'est encore vers le milieu du 18° siècle (1756-1759), que l'étendue de la capitainerie dont relève Plouhinec est réduite à 30 paroisses et que son siège est transféré à Pont-Croix.  

Une ordonnance royale de 1759 fixe, pour chaque paroisse, et proportionnellement à sa population, le nombre d'hommes qu'elle doit fournir pour le service de garde-côtes et le montant de son imposition destinée à subvenir aux dépenses (appointements de la hiérarchie, solde des officiers et soldats lors des revues générales, entretien de l'armement et de l'équipement, etc.) 

A cette époque, c'est la compagnie de Peumerit (paroisse située entre Pouldreuzic et Plonéour), qui est affectée à la batterie de Créménec, ce qui illustre bien l'implication des paroisses éloignées du littoral dans la défense des côtes.

Ordonnance du roi portant imposition pour la défense annuelle de la Garde-côte de Bretagne du 27 août 1759. Etat des hommes à fournir et des sommes à payer pour les paroisses du Cap Sizun. Source: gallica.bnf.fr

La guerre d'indépendance américaine (1774-1783) à laquelle la France apporte son soutien contre l'Angleterre, amène encore à se préoccuper de la sécurité du littoral. Le risque est bien réel: au début de ce conflit, un petit corsaire de Guernesey capture quatre bâtiments français à l'entrée de la rivière d'Audierne. En 1778-1779, on fait donc le point de la situation de la capitainerie de Pont-Croix, chargée de la défense du port d'Audierne et de la protection du cabotage. Elle compte alors 4 batteries côtières et 9 bouches à feu: Audierne (3 canons de 18), Créménec (2 canons de 22), Guilvinec (2 canons de 8) et Loctudy (2 canons de 12).

Aux batteries côtières sont affectées des compagnies dites "détachées", constituées de personnels formés et appointés, choisis parmi les meilleurs éléments des paroisses littorales. Les autres habitants de ces paroisses sont  seulement chargés que de la surveillance de la côte.

Entre deux périodes de conflit, les batteries sont désarmées et les canons transportés à l'arsenal de Brest.

C'est au début de 1793, après l'exécution de Louis XVI et la formation d'une coalition hostile à la France, conduite par la Grande-Bretagne, que l'on se préoccupe à nouveau de la défense des côtes. Pour cette période, l'essentiel de ce qui suit est tiré du site " Le district de Pont-Croix 1790-1795 " (https://district.plozerche.fr/) qui transcrit les délibérations du directoire du district entre 1790 et 1795. Il n'est repris ici que ce qui concerne la batterie de Créménec.

La date d'édition de cette autre carte intitulée [Carte des côtes de Bretagne avec position et numérotation des batteries] est tout aussi imprécise (1700-1800) que celle dont elle est inspirée et datée de 16..-17.., mais elle est certainement postérieure à celle-ci parce qu'elle fait état d'une batterie à Lervily. La batterie de Créménec y porte le n° 37. Source: gallica.bnf.fr

Le 14 février 1793, le directoire du district de Pont-Croix constate: "Les corps de garde sont vides, les batteries en mauvais état et en nombre évidemment insuffisant dans les guerres même ordinaires, puisqu'il [n'y] en a eu aucune dans lesquelles il n'ait été fait sur ce territoire quelques incursions", et demande "l'armement de toutes les batteries de la côte".

Trois officiers d'artillerie viennent alors inspecter les batteries qui défendent l'entrée du port d'Audierne. Concernant celle de Créménec, ils rendent le rapport suivant:

"Pointe de Créménec.

Sur la pointe de Créménec située à gauche de la rivière d'Audierne, est une batterie très élevée de deux pièces de 12 avec affûts de côte. Cette batterie défend le passage de l'Est du port. L'épaulement est en bon état, le corps de garde est très éloigné de la batterie [il se trouve à la pointe du Corbeau, NDR], il serait nécessaire que l'on en construisit un plus à proximité. Celui qui existe est en bon état et pourrait servir pour la sûreté du port. Il est pourvu de son lit de camp et des meubles. La poudrière très à proximité de la batterie est en bon état.

Nous pensons qu'il serait utile d'échanger une des pièces de 12 qui sont sur cette batterie pour une de 24 qui resteront sur la batterie d'Audierne, avec d'autant plus de raisons que la largeur du passage de l'Est est plus considérable que celle du passage de l'Ouest. Les pièces de canon doivent être visitées et peintes ainsi que leur affût. L'état approximatif de la dépense nécessaire à l'armement, approvisionnement, transport des munitions, ustensiles, peintures, changement de canon et affût, peut être porté à la somme de 800 francs.

Il a été convenu que pour la garde et le service de cette batterie il fallait y mettre un garde d'artillerie, un caporal et six hommes."

          Maquette d'un canon de marine de 12 livres sur affût de côte (système Gribeauval; échelle 1/4).           Collection du Musée de l'armée. Avec l'aimable autorisation de la Réunion des Musées Nationaux.

Ce modèle de canon équipait la batterie de Crémenec.  "Pour une question de coût, les bouches à feu du service de côte sont en grande partie issues de l’artillerie de marine. En effet, cette dernière utilise des canons en fonte de fer qui sont moins coûteux à fabriquer que des canons en bronze.  Pour être en mesure de suivre et de toucher la cible mobile que représente un navire, les pièces employées dans les batteries de côtes sont placées sur des affûts particuliers. Ceux-ci, de types marins, reposent sur des rouleaux, puis sur un châssis à roues capable de se mouvoir latéralement. La forte inclinaison de ce châssis permet, lors du tir, de réduire le recul du canon et de faciliter sa remise en place et son repointage. Puisqu’ils subissent le climat marin, ces affûts sont majoritairement en bois et les ferrures sont réduites au strict nécessaire pour éviter la détérioration du matériel " (Source: Musée de l'armée).

Ce sont des canons semblables à celui de la batterie de l'Aber-Ildut, à Lanildut, qui équipaient la batterie de Créménec: canon de marine de 12 livres sur affût de côte, modèle 1786. Reproduction de l'affût par la SEGPA du collège de Kerhallet à Brest. Canon fondu en 2007. Photo publiée avec l'aimable autorisation du site  patrimoine-iroise.fr/

  Le 11 mai 1793, le directoire du district, "considérant que le corps de garde de Créménec [en fait, celui de la pointe du Corbeau, près de l'entrée du port d'Audierne] est distant du fort [la batterie de Créménec] au moins de 600 toises et qu'à une aussi grande distance il est inutile ou extrêmement dangereux, considérant que la reconstruction de ce corps de garde ne serait pas très dispendieuse, après avoir oui le procureur sindic, est d'avis que le département ordonne la démolition du corps de garde actuel de Créménec et la reconstruction d'un nouveau auprès de la poudrière [de la batterie de Crémenec] avec ses matériaux, qu'en conséquence le département requiert la descente du citoyen Detaille pour en dresser un devis et qu'il en autorise l'adjudication au rabais.

Le 15 mai, le directoire du district de Pont-Croix constate que l'effectif destiné à la batterie (16 hommes) est complet, et confirme le citoyen Jean Violent (ou Viollant) de Plouhinec dans la place de gardien de la batterie de Plouhinec. Il nomme "les citoyens Jean Quemener pour premier caporal et Yves Pichavant pour second caporal", qui serviront sous les ordres du chef de poste. Il décide en outre que le procureur syndic fournira à cette batterie une chaudière pour 16 hommes, une casserole, un trépied, un plat de faïence commune pour la viande, un pot à eau, tous objets confisqués aux aristocrates émigrés. 

Le 4 juin 1793, le directoire accepte de fournir au citoyen Viollant, gardien de la batterie de Créménec, les deux fusils qu'il a réclamés, et le 13 juin, quatre couvertures, cinq fusils, un "trois pieds" et 15 cartouches. Le 14 juin, il organise la fourniture de bois de chauffage et de chandelles aux garnisons des batteries.

La décision a été prise de transférer à côté de la batterie de Créménec le corps de garde qui se trouvait jusque là à la pointe du Corbeau. Les 11 et 12 juillet 1793, "le conseil, sur la demande faite par le citoyen Moullec chargé de la construction des corps de garde de Lervily et Créménec, d'une autorisation à prendre, soit dans les maisons des émigrés soit dans la chapelle ruinée de Lochrist, les ardoises, planches ou belettes [??] et bois de charpente nécessaires à leur construction, ouï le procureur sindic, arrête que les ardoises de Lescongar, le lambris et le bois de charpente de l'église de Lochrist, seront mis à la disposition du citoyen Moullec jusqu'à concurrence de ses besoins, parce qu'il sera fait toutefois, des objets qu'il prendra et avant l'enlèvement, un état et une estimation préalables".

Les matériaux nécessaires à la construction du nouveau corps de garde de Créménec sont pris à la chapelle de Lochrist et au manoir de Lescongar. Carte dite "de Cassini", publiée en 1784. Source: gallica.bnf.fr

Le 29 août, le citoyen Moullec a pris 6.000 ardoises au manoir de Lescongar ayant appartenu au noble immigré Laporte-Vezin, et le conseil de district "arrête que le citoyen Moullec versera à la caisse du séquestre à Pont-Croix la somme de 132 livres pour 6 milliers d'ardoises à raison de 22 livres pour chaque millier".

Le 29 juillet 1793, le conseil du district de Pont-Croix est informé par le "citoyen Guillier commissaire du département, sur la négligence des citoyens à se rendre tous les dimanches sur les batteries de Créménec à l'exercice du canon".

Le 3 août, "le conseil, sur la réquisition du citoyen Monter commandant du canton de Pont-Croix, et ouï le procureur sindic, arrête qu'il sera livré, des magasins de la République, 6 piques au citoyen Monter pour la garde de la batterie de Créménec"

Au printemps 1794, le chef de brigade commandant à Quimper Brutus David, inspectant la côte, note:

"Batterie de Cremenet.

La batterie de Cremenet a deux pièces de 12, en fer, montées sur affût de côte. Elle défend l'entrée de la rade d'Audierne du côté de l'Est. Elle a pour chef Viollan, 2 caporaux, 14 canonniers, 8 fusils, 8 piques et 376 livres de poudre et 95 boulets."

A propos des deux canons, il ajoute: "Ces deux pièces auroient besoin d'être changées pour de meilleures, vu que leur ancienneté et leur difformité les mettent dans le cas de ces vieux serviteurs qui ne sont bons que pour les invalides."

Malgré les préconisations des officiers d'artillerie venus inspecter la batterie en février 1793, on ne l'a pas équipée d'un canon de 24.

C'est en août 1794 que la batterie de Créménec est appelée à accomplir son devoir. Mais cela se passe dans des conditions qui interrogent. Le 23 août 1794, l'Espion, corvette de 18 canons et 145 hommes d'équipage,  basée à Brest et commandée par le lieutenant de vaisseau Jean-Jacques Magendie, est de retour d'une mission sur les côtes anglaises. Elle est attaquée dans la baie d'Audierne par deux frégates anglaises, la Flora, de 42 canons et l'Arethusa, de 44 canons. 

Mais l'Espion s'échoue sur le haut-fond de la Gamelle, face à l'entrée du port d'Audierne. L'équipage n'en engage pas moins le combat face aux deux frégates qui s'approchent pour l'achever. Le combat dure plus de trois heures. Les anglais tirent à boulets rouges et des incendies se déclarent à bord de la corvette française. Le grand mât, le mât d'artimon et celui de misaine sont abattus, des canons détruits, six hommes sont tués et trente sont blessés. Ce n'est que quand, la marée descendant, l'Espion, toujours bloqué sur la Gamelle, se couche, rendant impossible l'utilisation des canons, que le lieutenant Magendie fait évacuer l'équipage sur des chaloupes.

On imagine très bien qu'une canonnade de trois heures au large du Raoulic et de la pointe de Créménec a attiré l'attention des riverains. D'ailleurs, un témoin délivre une attestation dithyrambique au lieutenant de vaisseau Magendie, sans doute en prévision des comptes que celui-ci aura à rendre à la Commission de la Marine:

«Je soussigné Raymond-Charles Le Bris, agent national provisoire de la commune de Pont-Croix, district du dit nom, département du Finistère, atteste avoir été saisi d'admiration du courage vraiment républicain qu'a montré l'équipage de la corvette l'Espion pendant environ quatre heures de combat qu'il a essuyé de la part de deux frégattes anglaises paroisant porter quarante pièces de canons chacune.
J'atteste que le citoyen Magendie, capitaine et son Etat-Major n'ont quitté leur navire qu'à la dernière extrémité et au moment où il paroissoit couler bas.
Certifie que le pavillon national n'a été mis bas qu'au moment que le capitaine s'est embarqué dans une chaloupe où il l'a déployé, se rendant à terre malgré la grêle de boulets et de mitraille que ces lâches anglais faisoient pleuvoir autour d'eux.
Atteste enfin qu'au moment où les chaloupes arrivoient à terre, l'équipage chantoit l'hymne des Marseillois et autres et que rendus à terre, différents marins se sont aussitôt empressés de faire ronfler le canon de la batrie Cremenec.
Pont-Croix le 7 fructidor, an 2e de la République Française une et indivisible.
LE BRIS, Agent National.
»

On retiendra surtout que ce sont "différents marins" (sous-entendu "de la corvette l'Espion"), qui, une fois rendus à terre, ont fait "ronfler" le canon de la batterie de Créménec. Les canonniers affectés à la batterie n'avaient-ils donc pas songé à faire "ronfler" leur canon avant l'arrivée des rescapés de l'Espion ?

La corvette l'Espion. C. Slade 1803 (Source:  https://en.wikipedia.org/wiki/Robert_(1793_ship))

Sur la peinture ci-dessus, le navire arbore les couleurs britanniques. C'est que, construit à Nantes en 1793 et baptisé Robert, il est capturé par les anglais et renommé HMS Espion. Repris par les français, il devient l'Espion. Après son combat en baie d'Audierne, le navire est renfloué, réparé et il reprend du service. Repris par les anglais en 1795, qui le rebaptisent HSM Spy, il sera vendu en 1801 et deviendra navire négrier, puis baleinier. Capturé par les français en 1805, il est envoyé en Guadeloupe. 

​​​​​​​La suite de l'histoire de la batterie de Créménec s'écrit principalement à travers la cartographie.

La batterie est figurée sur l'extrait de cette "Carte de la côte du département du Finistère". Non datée, elle est postérieure à la construction, en octobre 1793, des batteries de Lervily et de Pen an Enez en Esquibien (cette dernière défend l'anse du Cabestan) et qui sont, elles aussi, représentées.

Carte de la côte du département du Finistère. Sans date. Source: Gallica.bnf.fr

La batterie de Créménec apparaît ensuite sur la "carte de l'Etat major" (entre 1820 et 1866). Elle est sans doute désarmée et n'est plus signalée que comme "corps de garde".

Carte de l'Etat- major (1820-1866). Source: geoportail.gouv.fr

La batterie de Créménec et l'ancien corps de garde de la pointe du Corbeau figurent encore sur la carte de la baie d'Audierne incluse dans le recueil "Pilote français" publié en 1822.

Sur cette "Carte particulière des côtes de France (Baie d'Audierne) / Pilote français de 1822", la batterie et l'ancien corps de garde (ou leurs vestiges) sont représentés, mais sans mention de de leur nature. Source: gallica.bnf.fr

En outre, dans le même recueil "Pilote français", les deux bastions sont représentés "vus de la mer".

L'alignement du corps de garde de la pointe du Corbeau avec le moulin de Poulgoazec marque la limite Ouest du haut-fond de la Gamelle. Même source que ci-dessus.

La batterie de Créménec constitue un repère à gauche de l'alignement entre la Pierre du Chenal et le moulin du Compas qui marque la limite Est du haut-fond de la Gamelle. Même source que ci-dessus.

Sur le cadastre dit "napoléonien" de 1835, la batterie de Créménec est clairement figurée.

Cadastre de Plouhinec. 1835. Section 2 de Lezarouan. Archives départementales du Finistère.

Une des dernières mentions administratives relative à la batterie de Créménec apparaît lors du déclassement de places et ouvrages de défense, adopté en mai 1889. On notera que les batteries de "Penavenez", de Lervilly, d'Audierne et de "Créménec'h" sont regroupées sous le titre "Anse du Cabestan".

Bulletin des lois de la République française. Déclassement des places et ouvrages de défense. Mai 1889. Source: gallica.bnf.fr

La pointe de Créménec, en tant que point de repère, est encore citée dans le journal "L'Union agricole et maritime", à l'occasion d'un naufrage intervenu dans la nuit du 28 au 29 janvier 1891.

L'Union agricole et maritime du 1er février 1891. Source: Archives départementales du Finistère.

Dans "l'Almanach du marin breton" de 1908, les instructions de pilotage pour la baie d'Audierne précisent: «A droite, sur le haut de la terre de Poulgoazec, la Pyramide Blanche du Compas, puis, au bord de la côte, celle de la Pierre du Chenal située à droite de la batterie en ruines de Crémenec. ». Les vestiges de la batterie sont donc encore visibles.

Sur des photos aériennes de 1929 et 1961, on distingue, grâce à son ombre portée, ce qui doit être un reste de l'épaulement, face à la mer, de la batterie de Créménec.

Photographie aérienne Institut géographique national du 26/09/1929. Source: remonterletemps.ign.fr 

Photographie aérienne Institut géographique national du 28/08/1961. Source: remonterletemps.ign.fr 

Selon Jean-Jacques Doaré (Plouhinec autrefois, tome II, pages 396 et 398), des restes de l'épaulement en maçonnerie de la batterie de Créménec étaient encore visibles en 1998, et les matériaux du bâtiment proprement dit furent récupérés par des riverains.

Aujourd'hui, une maison est bâtie à la place de la batterie de Créménec.

Liens:
Les milices garde-côtes bretonnes (1483-1759)

Les milices garde-côtes en Bretagne (1756-1778)

Réglement du 12 mars 1726 pour la division et l'estendue des capitaineries garde-costes de Bretagne

Ordonnance du roi du 27 août 1759 portant imposition pour la dépense annuelle de la garde-côte de Bretagne

La batterie de Lanildut

La restauration de la batterie de l'Aber-Ildut

Le canon de la batterie de l'Aber

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Quand le Guy Mocquet reparaît.

Publié le par DL

A l'extrémité de la plage de Sainte-Anne-la-Palud en Plonévez-Porzay (Finistère), des vestiges d'un bateau émergent du sable de la plage soit après un gros coup de houle, soit après de fortes pluies qui gonflent les eaux d'un petit ruisseau qui coule le long de l'hôtel de la Plage, alimenté notamment par la fontaine de la chapelle et qui rejoint le Lapic.

Sur cette photo, on voit que les eaux du ruisseau ont dégagé les vestiges en question. Janvier 2021.

Dans une première version, cet article montrait en fait les vestiges d'une autre épave située près de la pointe de Tréfeuntec (ou Beg an ty Garde) que j'avais prise par erreur pour celle du Guy Mocquet. Je dois à l'obligeance de M. Yannick Bunel, qui  attiré mon attention sur cette erreur, de pouvoir montrer maintenant les restes de l'épave du Guy Mocquet. Qu'il en soit remercié.

Localisation des 2 épaves. Carte Institut géographique national (IGN). Source: geoportail.gouv.fr

A l'occasion de recherches sur l'épave de l'ancien dundee "le Douarneniste", gisant pas très loin, dans l'anse de Kervijen en Plomodiern (pour accéder à l'article sur cette épave, cliquer sur ceci: KERVIJEN), la mention d'un malamok "depecé à Tréfeuntec" était apparue sur le site http://arbbor.free.fr/dz_bateaux.htm .

Il s'agit donc du Guy Mocquet, malamok immatriculé à Douarnenez: DZ 3709.

Qu'est-ce donc qu'un malamok ? Je reprends la définition qu'en donne Jean René Le Hamp (Termes de marine). Malamok: albatros à bec noir, dont le nom a été donné, vers 1937 à Douarnenez, à un type de bateau de pêche aujourd'hui très répandu. D'une vingtaine de mètres environ il est utilisé pour le petit chalutage, la pêche aux thons.

Héritiers des pinasses sardinières et des dundees à voiles, les malamoks sont pontés et équipés d'une cabine pour le barreur. Bien que motorisés, ils ont conservé deux mâts et les voiles servent à stabiliser le bateau par vent de travers ou en appoint pour économiser le carburant (d'après  http://www.lavieb-aile.com) 

Sur cette carte postale, on voit, au second plan, le Bernard et Monique sous voiles. Légèrement plus petit que le Guy Mocquet, ce malamok  a été construit en 1945. 

L'essentiel des informations qui suivent provient des sites www.bagoucozdz.fr/  et  http://thoniers.free.fr/

Le Guy Mocquet est construit en 1946 à Douarnenez par le chantier naval Salaün et Cie pour le compte de René Gloaguen. Il mesure 19,48 mètres, jauge 71,41 tonneaux et est équipé d'un moteur Baudouin de 200 CV.

Il quitte le port pour la première fois en décembre 1946.

Journal Le marin du 26 décembre 1946.

Il pêche surtout le maquereau et le thon. Et bien qu'immatriculé à Douarnenez, il est basé à Morgat de 1950 à 1966.

Sur cette autre carte postale, visible de la poupe à la proue, le Guy Mocquet à quai à Douarnenez.

A diverses époques, il est commandé par Louis Lescop de Morgat, par Robert Moysan qui pêche le thon en été et la coquille Saint Jacques dans la Manche en hiver (il est alors basé à Newlyn en Cornouailles britanniques) et par François Stephan.

Il finit donc son existence au fond de la baie de Douarnenez, sur la plage de Sainte-Anne-la-Palud. Il est très probable que, comme le Douarneniste évoqué plus haut, il ait été vendu à un cultivateur pour qu'il en récupère le bois, et que son propriétaire ait profité d'une grande marée pour venir l'échouer aussi près que possible d'un accès à la plage. Il serait intéressant de savoir précisément à qui il a été vendu. 

Le site Internet arbbor.free.fr mentionné plus haut indique que le Guy Mocquet est désarmé le 27.01.1968 et dépecé à Tréfeuntec.

Si la localisation est exacte, il y a erreur sur la date. En effet, il apparaît sur une photo aérienne du 18 août 1966.

Source: remonterletemps.ign.fr

Par ailleurs, on retrouve le Guy Mocquet, désarmé et échoué sur la plage de Sainte-Anne-la-Palud, sur plusieurs cartes postales des années 1960.

Une fois le plus gros du bois récupéré, le reste a été abandonné, peut-être trop ensablé pour être découpé aisément. Ils mettront sans doute encore des années à se dégrader, protégés de la putréfaction par les masses de sable qui le recouvrent et par l'eau de mer.

Liens: 

Le Guy Mocquet sur bagoucozdz

Le Guy Mocquet sur "Thoniers en presqu'île de Crozon"

Liste des 4407 bateaux douarnenistes

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Les amers du Grand Crom à Beuzec-Cap-Sizun

Publié le par DL

Une apparition en contrebas du sentier côtier lors d'une randonnée sur le GR 34 à Beuzec-Cap-Sizun. Mai 2019

C'est un amer, c'est-à-dire un dispositif servant à la navigation.

A 300 mètres du rivage, un gros îlot rocheux est connu sous le nom de Grand Crom. Celui qui se trouve entre le Grand Crom et le rivage s'appelle le Petit Crom

Sur cette carte marine de 1693, les deux rochers sont signalés. On peut remarquer qu'à l'époque, c'est un moulin dans les terres qui sert vraisemblablement d'amer pour la navigation. Il s'agit très certainement du "moulin Castel" en Beuzec, établi sur un des points les plus élevés de la commune et aujourd'hui disparu.

L'amer photographié plus haut est signalé sur la carte topographique de l'Institut Géographique National (IGN), et il est connu comme "amer du Grand Crom" ou "balise du Grand Crom" et se trouve au Nord du village de Kergonouy. On le trouve aussi désigné comme "amer de Kergonouy".

Quelle peut être son utilité à cet endroit ? A proximité, il n'y a pas de port dont il pourrait baliser l'accès. Par ailleurs, un amer n'a d'intérêt que si les navigateurs peuvent l'aligner avec un autre amer.

C'est si vrai que, lorsqu'il en est question, par exemple dans la presse locale, on parle "des balises du Grand Crom".

L'Ouest Eclair du 16 novembre 1925.

Et en effet, si cette première balise se trouve sur le littoral, un deuxième amer était établi sur le rocher du Grand Crom proprement dit.

Aujourd'hui disparu, c'est sans doute la base de cet autre amer que l'on peut encore apercevoir depuis la côte sur le rocher.

L'article de l'Ouest Eclair ci-dessus nous fournit l'explication de la présence de ces balises du Grand Crom: leur alignement constitue la limite Est de la "base de vitesse de la baie de Douarnenez".

Qu'est-ce donc que la base de vitesse de la baie de Douarnenez ? Qu'est-ce donc, même, qu'une base de vitesse ?

Dans un article intitulé "Comment on construit un navire de guerre" ("Armée et marine, revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer". 15 mai 1927), le Commandant Pervinquière explique ce qu'est et à quoi sert une base de vitesse:

Une base de vitesse est donc un "alignement bien défini dont la longueur est exactement connue et dont les extrémités sont marquées par des recoupements perpendiculaires à sa direction". Et elle sert à mesurer la vitesse d'un navire à différentes allures.

L'article de l'Ouest Eclair reproduit plus haut nous indique quel est l'alignement bien défini de la base de vitesse de la baie de Douarnenez: "amer de Kerlofin par le phare du Millier". Au lieu de Kerlofin, il faut sans aucun doute lire Kerlafin en Poullan-sur-Mer, où se trouve encore aujourd'hui un amer assez haut (entre 15 et 20 mètres) pour être visible de la mer en même temps que le phare du Millier.

L'amer ou balise de Kerlafin en Poullan-sur-Mer. 

Selon l'article de l'Ouest Eclair, la base de vitesse de la baie de Douarnenez a pour limite Est les balises du Grand Crom (c'est-à-dire leur alignement), et pour limite Ouest l'alignement des balises de la Pointe de Brezellec. La distance entre ces deux alignements Est et Ouest est d'un peu plus de 4 miles marins.

Sur cette carte topographique de l'IGN, sont figurés les positions de l'amer de Kerlafin et du phare du Millier, et en violet leur alignement, ainsi que les positions des balises du Grand Crom et de la pointe de Brezellec

En fait, il n'y a pas de balise ou d'amer à la Pointe de Brezellec. et il n'y en a jamais eu. Les amers servant de limite à la base de vitesse se trouvent un peu plus à l'Ouest, à Pors Théolen

Amer antérieur de Brézellec (à Pors Théolen)

Amer postérieur de Brézellec (à Pors Théolen)

Périodiquement, des exercices, en général de dragage, sont organisés par la Marine Nationale à l'intérieur de cette base de vitesse. La presse locale s'en fait l'écho pour en avertir les pêcheurs.

L'Ouest Eclair du 4 juillet 1924.

La Croix du 21 octobre 1926.

Sur ces photos satellites (source Google Earth/Maxar Technologies), on peut repérer la balise côtière du Grand Crom par son ombre portée.

2007 Google Earth

2013 Google Earth

2018 Google Earth

Un décret du 16 avril 1996 supprime la protection dont bénéficiaient les champs de vue des amers des bases de vitesse de la rade de Brest et de la baie de Douarnenez. C'est par un arrêté de novembre 2011, que la Ministre de l'Ecologie [...] déclasse du domaine maritime de l'Etat "les trois amers de la base de vitesse de Douarnenez, situés respectivement sur le territoire des communes de Poullan-sur-Mer (amer de Kerlofin) et Cléden-Cap-Sizun (amers antérieur et postérieur de Brézellec)", et autorise le préfet du Finistère à les remettre aux communes intéressées. On remarquera que l'amer du Grand Crom n'est pas mentionné dans cet arrêté.

Lien: Pors Theolen et ses amers

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