Le corps de garde de Saint-Guénolé

Publié le par DL

A Saint-Guénolé-Penmarc'h (Finistère), un bâtiment trapu trône au centre d'un enclos de murets. Tout de pierres qui suggèrent son ancienneté, il paraît anachronique au milieu des constructions modernes qui l'entourent.

Le côté Nord et le pignon Ouest.

Son pignon Ouest est surmonté d'une souche de cheminée tandis que, sur ses côtés Nord et Sud, s'ouvrent de minuscules fenêtres, et que son pignon Est comporte une fenêtre pratiquement en son milieu et une porte décalée sur la droite. Il semble que la couverture ait été entièrement recouverte de ciment.

Le pignon Ouest et le côté Sud.

Le pignon Est.

C'est un ancien corps de garde. On n'en connaît pas précisément la date de construction. On peut seulement en avoir une idée approximative par les mentions qui en sont faites dans les archives. 

Ce corps de garde fait partie d'un système de défense des côtes établi sur tout le littoral breton à partir de la fin du 17° siècle. L'histoire des milices garde-côtes, héritières du guet de la mer a déjà été exposée ici à propos du corps de garde de Kérity (1), de la batterie de Pors Poulhan (2), de celle de Cremenec en Plouhinec (3) et du corps de garde de Beg an Ty Garde en Plonévez-Porzay (4).

Contentons-nous donc de retenir qu'en application d'un "Règlement pour la division et l'estenduë des Capitaineries Garde-Costes de Bretagne" du 12 mars 1726, les 29 compagnies de garde-côtes de la province de Bretagne étaient regroupées au sein de capitaineries, et que Penmarc'h faisait alors partie de la 14° capitainerie d'Audierne.

"Règlement pour la division et l'estenduë des Capitaineries Garde-Costes de Bretagne". 12 mars 1726. Source: gallica.bnf.fr

Un nouveau règlement du 4 juillet 1732 portera le nombre des capitaineries à 31 et celle d'Audierne deviendra la 15°.

"Règlement en interprétation de celuy du 12 Mars 1726 concernant la Division & l'Estenduë des Capitaineries Garde-Coste de Bretagne". 4 Juillet 1732. Source: gallica.bnf.fr

Toutefois, ces 2 règlements n'attestent pas de l'existence d'un quelconque moyen de défense ou de surveillance sur le territoire de la paroisse de Penmarc'h. C'est une carte de la Capitainerie d'Audierne de 1734 qui comporte la toute première mention d'un corps de garde à Saint-Guénolé.

"Capitainerie d'Audierne. La 15° de la Province de Bretagne. 1734. Copie faite en février 1735." Source: gallica.bnf.fr

"Capitainerie d'Audierne. 1734 " Détails. Source: gallica.bnf.fr

Comme on le voit sur le détail de la carte de la Capitainerie d'Audierne de 1734, c'est bien le symbole d'un corps de garde qui figure au niveau de Saint-Guénolé.

D'ailleurs, une carte marine publiée ultérieurement confirme par défaut qu'à Saint-Guénolé (écrit St Guignolet) se trouvait un simple corps de garde, contrairement à Saint-Pierre où se trouvait une batterie côtière équipée d'un ou plusieurs canons. Sur cette "Carte des côtes de Bretagne avec position et numérotation des batteries", publiée entre 1700 et 1800, la batterie de Saint-Pïerre porte le numéro 38.

"Carte des côtes de Bretagne avec position et numérotation des batteries" 1700 - 1800. Source: gallica.bnf.fr

Il n'avait sans doute pas été jugé nécessaire d'équiper Saint-Guénolé d'une batterie côtière, une dangereuse barre rocheuse rendant l'accès à son port particulièrement périlleux, y compris pour les pêcheurs locaux, et mettant ce secteur à l'abri de quelque tentative de débarquement ennemi que ce soit.

Le corps de garde de Saint-Guénolé était donc un simple poste de surveillance. En cas de nécessité, il pouvait communiquer avec les autres corps de garde ou batteries à l'aide de signaux (feu, fumée, pavillons ou coups de canon).

"Règlement pour le service de la garde-coste". 28 janvier 1716. Source; gallica.bnf.fr

Le corps de garde de "St Guignolet" figure sur une carte marine plus tardive.

[Carte des côtes de Bretagne] 1750-1800. Extrait. Source: gallica.bnf.fr

Sur cette [Carte des côtes de Bretagne] figurent le corps de garde de St Guignolet (noté C.G.), et la batterie de Kerity (noté Krit).

[Carte des côtes de Bretagne] 1750-1800. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Un manuscrit anonyme de 1754 ("Tableau general geographique des côtes de la Province de Bretagne avec l'état actuel de tous les ports, ances, rades, mouillages, debarquemens, etc.") mentionne le corps de garde de Saint-Guénolé.

«Sur la pointe de Peinmark il y a plusieurs Villages composant environ 200 feux, le mouillage y est bon en avant, on trouve a un  quart de lieue de cette pointe en longeant la côte vers le nord le corps de garde apellé St guignolet qui est a peu près a la même hauteur que celuy de querity, la mer est plus pleine de rochers dans cette partie que dans l'autre, et les bords sont impraticables.» "Tableau general geographique des côtes de la Province de Bretagne avec l'état actuel de tous les ports, ances, rades, mouillages, debarquemens, etc." 1754. Source: gallica.bnf.fr

Une carte marine manuscrite, publiée ultérieurement (1771-1785), mentionne aussi le corps de garde de Saint-Guénolé.

[Pointe de Penmarch] 1771-1785. Extrait. Source: gallica.bnf.fr

[Pointe de Penmarch] 1771-1785. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Sur l'extrait de carte qui précède, l'image du corps de garde, presque effacée, est cerclée de rouge. On voit que l'étroite et dangereuse passe d'accès au port de Saint-Guénolé se trouve au milieu d'îlots et de rochers. Une jetée, ici encadrée de jaune, est le premier aménagement du port de Saint-Guénolé.

Le corps de garde de Saint-Guénolé est encore mentionné sur la "feuille n° 172 [Quimperlé - Ile de Groix - Quimper]" de la Carte générale de la France, dite carte de Cassini, levée en 1783.

Carte générale de la France. [Quimperlé - Ile de Groix - Quimper] n°172. Extrait. Source: gallica.bnf.fr

Le "Journal de la visite de la côte, depuis Douarnenez jusqu'à la rivière de Quimperlé, faite par le républicain Brutus DAVID, Adjoint Général, Chef de Brigade, Commandant à Quimper" du 21 germinal an II (10 avril 1794), cite la "Batterie de Querity-Pain-Marc", le "Signal de Saint-Pierre" et la "Tour de Saint-Pierre", mais ne mentionne pas explicitement le corps de garde de Saint-Guénolé. En revanche, ce rapport cite d'une manière confuse la "Batterie de Pain-Marc" sans qu'on puisse déterminer si le chef de brigade Brutus David parle du poste de Saint-Guénolé.

"Journal de la visite de la côte, etc." Brutus DAVID. 10 avril 1794. Bulletin de la Société archéologique du Finistère. 1967.

Le "Plan des roches de Penmarc'h, levé en 1818 par les Ingénieurs Hydrographes de la Marine" mentionne à son tour le corps de garde de Saint-Guénolé.

"Plan des roches de Penmarc'h". Pilote français 1818. Extrait. Source: gallica.bnf.fr

"Plan des roches de Penmarc'h". Pilote français 1818. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Le corps de garde de Saint-Guénolé figure naturellement sur le premier cadastre de la commune de Penmarc'h levé en 1833.

Penmarc'h. Cadastre. Section A1 de Saint-Guénolé. Feuille 1. 1833. Source: Archives départementales du Finistère.

Construit vraisemblablement sous le règne de Louis XIV pour participer à la défense des côtes contre les puissances maritimes avec lesquelles le royaume, puis la République furent en conflit (Espagne, Pays-Bas, Angleterre), le corps de garde de Saint-Guénolé perd sa vocation militaire sous le second Empire.

Du ministère de la guerre, il passe à celui des finances par décret impérial du 8 juin 1870, et il est affecté au service des douanes.

Bulletin des lois de l'Empire français. 1er juillet 1870. Source: gallica.bnf.fr

Dans les ports, y compris les plus petits, le rôle principal des douaniers est de contrôler les entrées et sorties de marchandises (grains, sel, tabac, alcools ...), de surveiller les mouvements de navires, et secondairement de participer au sauvetage des bateaux en difficulté. Si les canots de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés interviennent en mer, les douaniers le font depuis le rivage quand un bateau en difficulté parvient jusqu'à la côte, notamment en lui lançant une amarre à l'aide d'un canon ou d'un fusil adapté.

Exercice de canon porte-amarre sur les dunes d'Audierne. On remarquera les deux douaniers à droite de la carte postale, et celui qui se trouve immédiatement à la droite du canon et qui vient dans doute de commander le tir. Au sol, en bas à gauche de la photo, l'amarre étalée pour être entraînée sans accrochage par la bombe tirée par le canon.

En décembre 1896, le Finistère subit une terrible tempête qui provoque un véritable raz de marée sur toute la côte de Penmarc'h (aujourd'hui, on parle de submersion marine). Le douanier qui occupe alors le corps de garde de Saint-Guénolé se trouve piégé pendant plusieurs heures à l'intérieur du bâtiment.

Journal Le Finistère du 10 décembre 1896. Extrait d'article. Source: archives départementales du Finistère.

C'est à cause d'un autre raz de marée, survenu début février 1904, que nous disposons aujourd'hui des premières images du corps de garde de Saint-Guénolé. Deux journaux publient alors des clichés montrant une construction en bois déplacée de plus de 100 mètres par la tempête. En arrière plan, on reconnait la silhouette du corps de garde.

Le Monde illustré. 13 février 1904.

L'Illustration. 13 février 1904.

Sur la gauche de cette carte postale, le corps de garde et son pignon Ouest.

Ironie de l'histoire, en 1940, le vieux corps de garde est occupé par la GAST (Grenzaufsichsstelle), c'est-à-dire la douane allemande (5).

On ne sait pas précisément jusqu'à quelle date le corps de garde de Saint-Guénolé fut occupé par la douane française. Celui de Kérity abrita un douanier au moins jusqu'en 1963 (6). Un douanier a exercé à Saint-Guénolé au moins jusqu'en novembre 1965 (7).

A gauche de cette carte postale, on voit le pignon Ouest du corps de garde, et, vraisemblablement, au moins un douanier.

 Détail de la carte postale précédente.

Au fil des archives, on relève les noms de quelques douaniers de Saint-Guénolé:

1921: Péron / Le Pemp

Octobre 1937 (La Dépêche de Brest): Le Gouill nommé brigadier des douanes à Douarnenez 

1946 (recensement): Pierre Brun / Sébastien Calix Contrôleur des douanes / Jean-Guillaume Le Gouill

NOVEMBRE 1965: Jean-Marie Gloaguen, douanier à Saint-Guénolé depuis 1956.

Enfin, d'après une photo illustrant un article du site https://saint-guenole.net/, il semble qu'à une date indéterminée, le vieux corps de garde ait été un local de la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en mer) (8).

 Le panneau rectangulaire de ce pignon a porté la mention "SOCIÉTÉ NATIONALE DE SAUVETAGE EN MER / STATION DE SAUVETAGE"

Nombre d'informations de cet article proviennent ou sont inspirées des sites:

https://saint-guenole.net/

https://kbcpenmarch.franceserv.com/

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T
Super, ne changez pas gardez votre identité
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