Les pyramides de Plouhinec
Sur le sentier côtier entre Poulgoazec et Kersiny en Plouhinec (Finistère), se trouve une curieuse colonne en maçonnerie, haute de 4 mètres et dont le sommet épouse plus ou moins la forme d’une pyramide. C’est d’ailleurs ainsi qu’on l’appelle localement : ”la pyramide”.
Le sommet de cette pyramide paraît avoir conservé quelques traces blanches, sans doute d'un badigeon de peinture ou de chaux. C’est un amer, c’est-à-dire un objet servant de repère pour la navigation. Aujourd’hui, à l’époque du positionnement par satellite et de la cartographie numérique, la navigation, qu’elle soit de commerce, de pêche ou de plaisance, n’a plus recours à de tels repères.
Le terme ”pyramide” n’est pas exclusif à cet amer de Plouhinec, mais semble être d’un usage courant pour désigner ce type de repères pour la navigation. Celui qui se trouve près de l’ancien couvent des Capucins à Audierne, est aussi appelé ”pyramide”, tout comme celui de Men-Brial sur l’île de Sein et bien d'autres encore.


Dans les siècles passés, plus qu’utiles, de tels repères étaient indispensables, en particulier à l’abord du chenal d’entrée du port d’Audierne, réputé très dangereux en raison de la présence d’un haut-fond appelé ”la Gamelle”.
C’est si vrai que, faute de l’existence de tels amers, en août 1793, la corvette ”l’Espion”, poursuivie par deux frégates anglaises, vient s’échouer sur ”la Gamelle”, pratiquement en face de l’endroit où cette pyramide sera construite au XIX° siècle.
Depuis la pyramide (ici à droite du cliché), on aperçoit l'écume de la houle qui déferle au large sur la Gamelle.
En fait, un autre amer était utilisé à cet endroit avant la construction de cette pyramide. C’était un rocher appelé ”la Pierre du Chenal”. C’est sans doute parce qu’il n’était pas assez visible ou pas assez clairement reconnaissable qu’en 1884, un massif de maçonnerie a été édifié sur un point plus élevé immédiatement au-dessus, et à deux cent mètres à l'Est de l'ancien corps de garde (ou poudrière) de Créménec, et a été désigné comme la ”pyramide blanche de la Pierre du Chenal”.
”La Pierre du Chenal” elle-même est vraisemblablement l’amas rocheux que l’on voit juste sous la pyramide.


Toutefois, seul, un tel amer n’avait pas de réel intérêt pour la navigation. Ce qui était utile, c’est l’alignement de deux amers.
C’est pourquoi, en 1884, une autre pyramide, haute de 7 mètres, avait été bâtie sur les hauteurs de Plouhinec, un peu à l’Est du village de Brénilour: la ”pyramide blanche du Compas”. Moins soumis aux embruns que celle de la Pierre du Chenal, le quart supérieur de celle ci porte encore nettement la trace d'une peinture blanche.
Tout comme la ”pyramide blanche de la Pierre du Chenal” a remplacé un amer naturel, la ”pyramide blanche du Compas” a remplacé le moulin à vent dit ”du Compas”.

Le moulin du Compas. Carte du Service hydrographique de la marine 1771-1785. Source: Gallica
Sur le cadastre dit "napoléonien", dressé entre 1808 et 1851, le moulin du Compas figure sous le nom de "moulin d'allaé". Al laé peut se traduire par "d'en haut", ce qui reflète bien sa situation topographique.

Moulin d'allaé. Archives départementales du Finistère. Plans cadastraux. Section H1 de Lezarouant.
Le 3 juin 1899, le journal Le Finistère signale dans un court ”avis aux navigateurs” que le moulin du Compas a été démoli.

Avant même la construction de ces deux ”pyramides”, l’alignement de la Pierre du Chenal et du moulin du Compas servait à marquer la limite Est du haut fond de la Gamelle, comme on peut le voir sur le Plan levé en 1818 par les ingénieurs hydrographes de la Marine à l’usage des marins fréquentant les abords du port d’Audierne (cerclés de rouge).

Plan du port d'Audierne, levé en 1818 par les ingénieurs hydrographes de la Marine. Corrigé en 1874. Dépôt des cartes et plans de la Marine 1875. Source: Archives départementales du Finistère.
Quant à elle, la limite Ouest du plateau rocheux de la Gamelle est indiquée par l’alignement de l’ancien corps de garde de Beg ar Grougn et du moulin de Poulgoazec (cerclés de jaune).
Sur le plan de 1818 mentionné plus haut, l’alignement de la Pierre du Chenal et du moulin du Compas est aussi représenté sous forme d’un dessin ”vu du large”.

Même légende que ci-dessus.
Les mêmes alignements encadrant le plateau rocheux de la Gamelle figurent également sur la carte accompagnant les ”Instructions de pilotage pour la baie d’Audierne” de l’Almanach du marin breton de 1908. La Pierre du Chenal et le moulin du Compas sont remplacés par les pyramides de mêmes noms, citées à deux reprises dans ces Instructions.

Instructions de pilotage pour la baie d'Audierne. Source: Almanach du marin breton. 1908.


En février 2006, la commission nautique d'Audierne, en approuvant les modifications du plan de balisage du port et de son entrée, notent que nos deux amers, «noyés parmi les habitations, n'étaient plus repérables et donc plus utilisés». Par suite, ”l’amer antérieur Pierre du Chenal” et ”l’amer postérieur le Compas” sont déclassés en tant qu’ESM (Etablissements de Signalisation Maritime) par arrêté préfectoral en date du 6 octobre 2006.
Restent deux monuments, longtemps indispensables à la sécurité des marins qui fréquentaient les eaux de cette baie, et qui sont aujourd'hui les témoins du riche passé maritime du Cap Sizun.
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