L'assèchement de l'étang de Kergalan

Publié le par DL

Un cordon de galets (Ero Vili) borde le Sud de la Baie d'Audierne entre Penhors (en Poudreuzic) et la Pointe de la Torche (en Plovan). 

En s'opposant à l'écoulement vers la mer des eaux des quelques ruisseaux qui parcourent cette partie du pays bigouden, ce cordon de galets est à l'origine de la formation de marais et d'étangs rétro-littoraux, c'est-à-dire se trouvant en arrière du trait de côte. Les plus importants de ces étangs sont celui de Kergalan qui marque la limite entre la commune de Plovan et celle de Tréogat, et celui de Trunvel qui marque la limite entre la commune de Tréogat et celle de Tréguennec.

Carte topographique de l'Institut géographique national (IGN). Détail. Source: geoportail.gouv.fr

L'étang de Kergalan, et, au-delà du cordon de galets, l'océan.

Aujourd'hui, ces deux étangs communiquent par un canal creusé dans les années 1940 et 1950 dans le cadre d'un projet visant à réguler le niveau des eaux des deux étangs. Le but était d'évacuer leurs excédents directement dans la mer par un aqueduc passant sous le cordon dunaire au droit de l'étang de Trunvel (1). 

En effet, lors de crues dues aux précipitations, les eaux de ces étangs noyaient régulièrement les terres cultivées et les pâtures des alentours, et pour les évacuer, l'habitude avait été prise de créer des brèches dans le cordon de galets, brèches qui, pas toujours bien maîtrisées, produisaient un effet non recherché en permettant aussi à la mer d'envahir l'arrière de la dune lors de tempêtes. 

Mais dans les années 1960, le recul de la dune a repoussé les eaux de l'étang de Trunvel hors de portée de l'aqueduc qui se trouve maintenant sur la plage et devenu totalement inutile.

Les vestiges de l'aqueduc et, en arrière plan, la dune qui a reculé et sous laquelle il se trouvait à l'origine.

Les eaux excédentaires des deux étangs devant quand même finir par s'évacuer vers la mer, c'est la portion du cordon de galets présentant la plus faible résistance qui, en cédant, a offert un exutoire naturel aux deux étangs. Il se trouve au Nord de l'étang de Kergalan, tout près du village de Crumuni en Plovan (2).

Photo aérienne de l'IGN. Source: geoportail.gouv.fr

Maintenant, les eaux de l'étang de Trunvel s'évacuent vers celui de Kergalan par le canal creusé dans les années 1940 et 1950 et toujours actif.

Sur cette photo aérienne de l'IGN, on distingue parmi les marais le canal qui passe sous la route au niveau du parking de Kerbinigou en Tréogat. Source: geoportail.gouv.fr

Les étangs de Kergalan et de Trunvel n'ont pas toujours été ainsi tributaires l'un de l'autre. Si l'on se fie aux cartes marines et autres qui les représentent, ils étaient bel et bien indépendants, sauf peut-être lors de crues occasionnelles qui noyaient les marais et palues qui les entourent. 

Carte topographique des côtes de France offrant celles de la Bretagne depuis le Mont Saint-Michel jusqu'à l'isle de Noirmoutier / Plovan. 1771-1785. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Carte topographique des côtes de France offrant celles de la Bretagne depuis le Mont Saint-Michel jusqu'à l'isle de Noirmoutier / Plovan. 1771-1785. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Carte topographique des côtes de France offrant celles de la Bretagne depuis le Mont Saint-Michel jusqu'à l'isle de Noirmoutier / Plovan. 1771-1785. Détail. Source: gallica.bnf.fr

En 1771, l'étang de Kergalan est dans la dépendance des seigneuries de Coatfao (Pluguffan) et de Pratanras (Penhars) appartenant à la duchesse d'Arenberg. Selon un état établi cette année là, cet étang rapporte annuellement 30 livres à celle-ci (3), consistant vraisemblablement en redevances au titre de l'exploitation des roselières qui l'entourent pour la couverture des maisons, et à celui de la vente des poissons d'eau douce qu'on y pêche. Il est également dû 12 carpes à la duchesse dont on peut supposer qu'elles proviennent de cet étang.

Carte dite "de Cassini". Feuille n° 172 [Quimperlé-Ile de Groix-Quimper]. Levée en 1783. Détail. Source: gallica.bnf.fr

En 1781, René Madec qui avait fait fortune en Inde en combattant au service d'un rajah et du Grand Moghol (4), une fois rentré en France et anobli par Louis XVI, achète les fiefs de Coatfao et de Pratanras à la duchesse d'Arenberg. Il devient ainsi propriétaire de l'étang de Kergalan.

Carte particulière des côtes de France / Baie d'Audierne. Levée en 1818. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Sur la carte ci-dessus, si l'étang de Kergalan est entièrement représenté, seul l'exutoire de celui de Trunvel est dessiné.  

Sur le plan des parcelles du cadastre de la commune de Plovan, levé en 1828, l'étang porte le n° 743 (superficie: 22 arpents) et le cordon de galets qui est qualifié de "terre vaine", c'est-à-dire inculte (5), porte le n° 744. 

Cadastre de la commune de Plovan. Section C2 du Bourg. 1828. Source: archives.finistere.fr

L'état des sections de ce cadastre nous indique que ces deux parcelles, étang et terre vaine, sont la propriété de Mr Madec à Quimper. René Madec étant décédé en 1784, il s'agit probablement de son fils René Balthazar Félix. Le revenu de cette partie de l'étang est alors de 22,19 francs, et celui du cordon de galets (terre vaine) de 2,93 francs.

Commune de Plovan. États de sections des propriétés non bâties et bâties. Section C2 du Bourg. 1828. Source: archives.finistere.fr

Sur le plan de section ci-dessus, seule la partie de l'étang de Kergalan relevant de la commune de Plovan est représentée. L'autre partie figure sur le cadastre de la commune de Tréogat. L'étang de Trunvel y est également représenté.

Cadastre de la commune de Tréogat. Tableau d'assemblage. 1826. Détail. Source: archives.finistere.fr

La partie de l'étang de Kergalan dépendant de la commune de Tréogat porte le n° 680 (superficie: 31 arpents) sur le plan de parcelles du cadastre de cette commune, levé en 1826. L'état des sections indique qu'elle est la propriété de la veuve Madec à Quimper, et qu'elle produit un revenu de 15,69 francs. Il s'agit très certainement de Marie-Anne Barbette (1753-1841) que René Madec avait épousée en 1766 en Inde.

Commune de Tréogat. États de sections des propriétés non bâties et bâties. Section B2 de la Côte. 1826. Source: archives.finistere.fr

Le plan de la section B2 de la Côte de la commune de Tréogat nous montre que l'étang de Trunvel évacue alors ses eaux jusqu'à la mer par un chenal, confirmant les indications de la carte marine levée en 1818.

Cadastre de la commune de Tréogat. Section B2 de la Côte. 1826. Détail. Source: archives.finistere.fr

On retrouve cet exutoire de l'étang de Trunvel sur la carte dite d'Etat Major, levée pour notre région en 1848.

Carte d'Etat Major. Feuille de Quimper - partie S-E. 1848. Détail. Source: remonterletemps.ign.fr

Il figure également sur la Carte topographique de la République française levée en 1853.

Carte topographique de la République française. 1853. Détail. Source: gallica.bnf.fr

En 1883, l'étang de Kergalan est vendu à Jean-Baptiste Cassard par Louis Charles Marie d'Amphernet, fils de Marie-Henriette de Madec, décédée en 1842, elle-même fille de René Madec et de Marie-Anne Barbette. Si l'on se fie aux indications des cadastres de Plovan (1828) et de Tréogat (1826), il semble qu'après le décès de René Madec, la partie de l'étang de Kergalan située à Tréogat ait fait partie du douaire de Marie-Anne Barbette, sa veuve, et que celle située à Plovan ait échu à son fils René-Balthazar-Félix .

Jean-Baptiste Cassard est originaire de Trentemoult-en-Rézé en Loire-Atlantique. Avant qu'il achète l'étang de Kergalan, les deux parties de celui-ci étaient respectivement tenues en fermage par Paul Chauvet, lui-même ancien notaire à Nantes de 1860 à 1865, et par André Pichery, pharmacien également à Nantes. Ce n'est sans doute pas l'exploitation des roselières et la pêche qui avaient attirés là les deux bourgeois nantais, mais plus certainement la chasse au gibier d'eau. Il est possible que Jean-Baptiste Cassard ait eu connaissance de l'existence de l'étang de Kergalan par l'un d'eux alors qu'il habitait en Loire-Atlantique. 

Mais lui-même n'a pas acheté cet étang pour venir y pêcher, y chasser ou exploiter les roselières. Son intention est de créer un polder en asséchant l'étang et les marais qui le bordent afin de mettre en culture les terres ainsi gagnées.

Pont-l'Abbé / Carte de la France dressée par ordre du Ministère de l'intérieur  feuille III-17. 1890. Détail. Source: mediatheques.quimper-bretagne-occidentale.bzh

Pour ce faire, il crée, à travers le cordon de galets, deux aqueducs partiellement en bois et équipés d'écluses. A marée basse, les écluses sont ouvertes et l'eau de l'étang s'évacue dans la mer. Quand la mer remonte, les écluses sont refermées pour éviter que l'eau salée ne pénètre en n'envahisse les terres  asséchées. C'est un voisin cultivateur, Philibert Guellec, demeurant avec sa famille à Crumuny, qui est chargé d'ouvrir et fermer les écluses.

Il faudra huit ans à Jean-Baptiste Cassard pour parvenir à ses fins et commencer à exploiter les 40 hectares de terres asséchées. Il figure pour la première fois au recensement de Plovan de 1891. Il réside alors au lieu-dit Plusquellec (lieu-dit par ailleurs inconnu à Plovan), il se déclare rentier et habite avec 3 domestiques: Julien Perrigaud, 20 ans, cultivateur; Marie-Louise Joncour, 21 ans, cultivatrice, et Marie-Anne Joncour, 18 ans, également cultivatrice.

Plovan. Recensement de 1891. Détail. Source: archives.finistère.fr

Il cultive des légumes, crée des prairies pour récolter du fourrage et faire paître des animaux, et il construit une ferme, appelée Loch Cassard où, d'après le recensement de 1896, il se déclare agriculteur et habite avec 6 domestiques : Jean Gouzien, 26 ans; Marie-Louise Joncour, 26 ans (elle s'est mariée avec Jean Gouzien en mai 1895); Pierre Joncour, 12 ans ( ! ); Françoise Chauvel, 25 ans; Marie-Jeanne Goff, 17 ans; tous les cinq cultivateurs, et Emile Charpiot, 19 ans, fromager.

 Plovan. Recensement de 1896. Détail. Source: archives.finistère.fr

C'est donc que l'affaire de maraîchage et de fabrication de fromages de Jean-Baptiste Cassard  prospère. Et ce jusqu'à ce que la nature vienne contrarier puis ruiner ses efforts. Des tempêtes d'une puissance exceptionnelle balayent la Bretagne et en particulier la baie d'Audierne en novembre 1894 et décembre 1896 (6). On parle de raz de marée, la mer en furie submerge les cordons dunaire et envahit maisons et terres cultivées.

L'exploitation de Jean-Baptiste Cassard est vraisemblablement inondée, ses terres noyées par l'eau de mer. Cherche-t-il alors à les réassécher ? Ce qui est sûr, c'est que lors du recensement de Plovan en 1901, il ne loge plus qu'une domestique à Kergalan, Marie Madec, 27 ans, cultivatrice. Mais il loge aussi Catherine Derrien, 28 ans, qualifiée d'associée, ainsi que Jeanne, 2 ans, la fille de celle-ci. Il a donc réduit considérablement son personnel.  

 Plovan. Recensement de 1901. Détail. Source: archives.finistère.fr

Jean-Baptiste Cassard épouse Catherine Derrien le 8 avril 1903 à Saint-Nicolas-de- Redon (Loire Atlantique) (7).

Ce sont vraisemblablement les conséquences de la tempête de février 1904 qui mettent fin au projet d'assèchement de Jean-Baptiste Cassard (8). Le 19 juillet 1905, il déclare la naissance de son fils, lui aussi prénommé Jean-Baptiste, à la mairie de Saint-Nicolas-de-Redon (9). Il ne figure plus au recensement de Plovan de 1906. Il n'a pas été possible de déterminer si, à cette date, il réside encore dans le Finistère ou s'il est retourné vivre en Loire-Atlantique.

Il se dit qu'il aurait tenté de gagner de l'argent en vendant les restes de l'épave du Colomba, cargo échoué devant Saint-Vio en mars 1907 après avoir subi un incendie au large d'Audierne. Mais ceci est une autre histoire.

La Dépêche de Brest. 8 mars 1907. Source: gallica.bnf.fr

L'océan a refermé les brèches provoquées par ses tempêtes, et, dans les années 1930, un nouveau projet d'assèchement des étangs de Trunvel et de Kergalan est envisagé. Cette fois encore, la mer sera la plus forte. En repoussant le cordon dunaire dans les terres, elle rendra inutile le nouvel aqueduc construit dans les années 1940 et 1950. Au début des années 2000, la zone devient site classé Natura 2000.

La Dépêche de Brest. 8 octobre 1930. Source: gallica.bnf.fr

Des efforts de Jean-Baptiste Cassard, il ne reste que quelques vestiges de l'un de ses deux aqueducs, maintenant à plusieurs dizaines de mètres du cordon de galets sous lequel il passait et qui a aussi reculé vers l'intérieur des terres. Ces vestiges, le plus souvent enfouis sous le sable, sont parfois en partie visibles à l'occasion d'épisodes de démaigrissement de la plage.

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