Les sémaphores de la Pointe du Raz

Publié le par DL

Aujourd'hui, le visiteur de la Pointe du Raz en Plogoff (Finistère), ne peut manquer de remarquer le sémaphore armé par la Marine Nationale afin d'assurer la surveillance de la Chaussée de Sein et des baies de Douarnenez et d'Audierne.

Ce sémaphore, dit de 1ère catégorie, est actif 24 heures sur 24 et 7jours sur 7 pour remplir ses multiples missions.

Détail d'un panneau pédagogique affiché à l'extérieur du mur d'enceinte du sémaphore à l'intention du public.

On le voit, la mission des 8 à 10 guetteurs se relayant par groupes de 4 ou 5, ne se limite pas à la surveillance optique de la zone. Dans la chambre de veille, ils disposent non seulement de puissantes jumelles (portée de 25 km), mais aussi d'écrans radar (portée de 25 miles nautiques), d'un équipement Spationav V2 permettant d'identifier et de suivre les navires fréquentant la pointe bretonne, d'un système de radiogoniométrie (relié à la curieuse antenne rouge surplombant la chambre de veille), et d'appareils d'émission et de réception radio, y compris en VHF. 

Le sémaphore du Raz est en outre une station météorologique fournissant des relevés à la Marine Nationale et à Météo France.

Si le titre de cet article parle des sémaphores de la Pointe du Raz, c'est parce que celui-ci n'est pas le premier.

La surveillance du trafic maritime et des côtes remonte au Moyen Age. C'était le guet de la mer auquel étaient assujetties les populations des paroisses littorales. Il s'agissait de repérer les navires hostiles et d'avertir les autorités afin qu'elles s'opposent à des débarquements, des pillages, des invasions. Des ordonnances royales, notamment en 1517 et 1681 organisent un service de garde-côtes assuré par des milices au sein de capitaineries. Ces ordonnances seront complétées et précisées par plusieurs règlements et ordonnances au cours du 18° siècle.

En particulier, en date du 12 mars 1726, un "Règlement pour la division et l'estendue des Capitaineries Garde-Costes de Bretagne" indique la composition de la XIV° capitainerie d'Audierne dont relève la paroisse de Plogoff.

"Règlement pour la division et l'estendue des Capitaineries Garde-Costes de Bretagne". 12 mars 1726. Source: gallica.bnf.fr

Une carte de la Capitainerie d'Audierne de 1734 nous indique qu'à Plogoff se trouvait un corps de garde pour abriter les membres de la milice garde-côtes.

"Capitainerie d'Audierne, la 15° de la Province de Bretagne. 1734". Source: gallica.bnf.fr

La légende de cette carte atteste qu'il existe un corps de garde à Plogoff. "Capitainerie d'Audierne, la 15° de la Province de Bretagne. 1734" Détail. Source: gallica.bnf.fr

Si, à l'époque, on ne parlait pas encore de sémaphore, le rôle de ce corps de garde était néanmoins de surveiller les navires circulant au large de la Pointe du Raz, et en particulier ceux des nations en conflit avec le royaume de France.

Une carte de 1771-1785 conservée par le Service hydrographique de la Marine situe précisément la position de ce corps de garde sur la Pointe du Raz.

"Baie des Trépassés - pointe de Feunteunod" 1771 1785. Détail. Source: gallica.bnf.fr

Ce corps de garde se trouvait non loin du village de Laoual où se dressait alors une chapelle Saint-Michel qui est mentionnée sur la carte ci-dessus (1).

A la fin du 18° siècle, un poste de surveillance est établi près de cette chapelle Saint-Michel. Sa garnison est chargée de communiquer par signaux avec les autres postes de surveillance de la côte au moyen d'un canon. Elle est logée dans la chapelle désaffectée.  

Rapport d'inspection des côtes par le chef de brigade Brutus David, le 2 germinal an II (10 avril 1794). Bulletin de la Société Archéologique du Finistère de 1967.

C'est pour ce poste de surveillance attenant à la chapelle Saint-Michel de Laoual et surplombant la Baie des Trépassés que l'on parlera pour la première fois de sémaphore. Il est désigné de cette façon sur la "Carte particulière de la Chaussée de Sein et du passage du Raz de Sein" levée en 1817, et incluse dans le "Pilote français", atlas nautique composé sous la direction de l'hydrographe Charles-François Beautemps-Beaupré.

Pour la communication avec d'autres points de surveillances, un télégraphe optique a remplacé le canon de 12 mentionné en 1794.

Le sémaphore de Saint-Michel de Laoual, ici cerclé de rouge, et le corps de garde de la Pointe du Raz, ici encadré de rouge, figurent tous deux sur la "Carte particulière de la Chaussée de Sein et du passage du Raz de Sein". "Pilote français" 1817. Source: gallica.bnf.fr 

Le "Pilote français" nous fournit également des représentations de ce sémaphore, vu depuis différents points en mer.

Le sémaphore du Raz vu depuis la "Basse Nord-Ouest de la Baie des Trépassés". Extrait. "Pilote français" Source: gallica.bnf.fr

Le sémaphore du Raz vu depuis la "Basse Nord-Ouest de la Baie des Trépassés". Détail. "Pilote français" Source: gallica.bnf.fr

Le sémaphore du Raz vu depuis la "Basse Burel". Détail. "Pilote français". Ici, on reconnaît la silhouette de la chapelle Saint-Michel. Source: gallica.bnf.fr

Ce sémaphore présentait un inconvénient. En raison de sa localisation, s'il permettait bien de surveiller l'océan au Nord et au Nord-Ouest de la Pointe du Raz, et en particulier la Baie des Trépassés, seul point où l'on pouvait redouter un débarquement ennemi, ce qui se passait à l'Ouest et au Sud lui échappait, masqué par la pointe elle-même.

Pour sécuriser la navigation dans le Raz de Sein, un phare à feu fixe est construit sur la Pointe du Raz (encore appelée le Bec du Raz) et allumé en 1839. 

Le phare du Bec du Raz. 1873. Source: Ecole nationale des Ponts et Chaussées. Tous droits réservés.

Sur la photo ci-dessus, on distingue le bâtiment au pied du phare, sa tourelle, et tout en haut, sa lanterne.

Après la chute de Napoléon et de l'Empire, la paix revenue, les sémaphores sont jugés superflus et progressivement supprimés entre 1814 et 1858 (2). Celui de la chapelle Saint-Michel disparaît.

En 1862, il est décidé de créer un service électro-sémaphorique et de construire 134 postes de sémaphores sur le littoral français. Celui de la Pointe du Raz est vraisemblablement construit sur le site de l'ancien corps de garde.

Bien que, sur place, il ne reste aujourd'hui aucune trace de ce sémaphore, le visiteur peut néanmoins avoir une idée du panorama qu'il couvrait alors. En effet, c'est vraisemblablement sur son emplacement que furent construits par l'armée allemande, pendant la seconde guerre mondiale, une casemate pour du personnel et une cuve de DCA (la Flak), aujourd'hui aménagée en belvédère en bordure du chemin d'accès à la pointe (en fin de cet article, la vidéo d'un traveling à 300° réalisé depuis cet endroit montre l'étendue d'océan que surveillaient les guetteurs du sémaphore).

Les vestiges de la cuve de DCA construite par les allemands. On aperçoit le sémaphore actuel.

L'ensemble des postes électro-sémaphoriques entre en service entre 1865 et 1866 (3). Ils sont tous bâtis sur le même modèle, avec parfois des variantes imposées par des conditions topographiques locales: une chambre de veille ouverte à 180° sur le secteur à surveiller, adossée à un ou plusieurs logements pour les guetteurs. 

Plan de postes électro-sémaphoriques du département de la Manche.

On ne dispose pas d'image photographique ou autre de ce sémaphore de la Pointe du Raz, mais il ressemblait certainement à d'autres sémaphores du Finistère:

Sémaphore de Lesconil.

Sémaphore de l'Aber-Wrac'h

En 1874, pour améliorer la signalisation nautique et sécuriser la navigation, un second feu, dit de la Falaise du Raz, est installé au sommet d'une tourelle en tôle peinte en blanc et établie à 200 mètres du phare du Bec du Raz, sur la ligne dirigée de ce phare vers l'écueil de la Plate (4).

La tourelle du "feu de la falaise du Raz". 1883. Sur la droite, on aperçoit la lanterne du phare du Bec du Raz. Source: Les travaux publics de la France / Phares et balises. http://www.collections.musee-bretagne.fr/

Une carte marine publiée en 1877 figure les 2 feux de la Pointe du Raz ainsi que le "nouveau" sémaphore construit en 1865 ou 1866.

Sur cette "Carte particulière des côtes de France / Chaussée de Sein et passage du Raz de Sein" publiée en 1877, sont figurés les 2 feux de la Pointe du Raz et le sémaphore. Source SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine)

La signalisation nautique du secteur est complétée par la construction du phare de Tévennec, mis en service en 1875.

En 1880, des maisons pouvant accueillir 3 familles sont construites pour les gardiens du phare du Bec du Raz, à l'Est de celui-ci. 

Elévation Est du phare et des logements des gardiens. Reproduction d'un plan des Ponts et Chaussées, 1880. Source: Archives départementales du Finistère. Cote!26 S 312

Une rare photographie du phare nous montrant sa lanterne.

L'amélioration de la signalisation du Raz de Sein se poursuit par la construction du phare de la Vieille mis en service en 1887. Dès lors, les feux de la Pointe du Raz et de la falaise du Raz deviennent inutiles. Ils sont éteints et la tourelle du feu de la falaise du Raz est démontée.

La même carte que précédemment, rééditée en 1888 et corrigée en 1896, montre toujours le sémaphore et le phare, mais celui-ci, désaffecté, est maintenant qualifié d'ancien. Source SHOM 

Le phare désaffecté intéresse le département de la Marine qui souhaite déplacer le sémaphore depuis le début des années 1880. En effet, bien que bâti sur une éminence, mais situé trop en retrait de la pointe proprement dite, il ne permet pas de surveiller une partie du Raz de Sein masquée à sa vue par l'extrémité du cap elle-même.

Selon le recensement de la population de 1891, deux ménages occupent les logements du phare (Clet Gloaguen d'une part et Agile Colloc'h et sa famille d'autre part), et deux familles occupent les logements du sémaphore (la famille d'Hervé Salaün d'une part et celle de Clet Kersaudy d'autre part).

Commune de Plogoff. Recensement de la population. 1891. Source: archives départementales du Finistère.

Les tractations entre le service des phares, relevant des Pont et Chaussées, et la Marine durent jusqu'en 1892. La tour du phare est conservée pour servir d'amer, et la lanterne est remplacée par une chambre de veille.

Le Yacht, journal de la navigation de plaisance, informe ses abonnés du déplacement du sémaphore dans son édition du 22 octobre 1898. Source: gallica.bnf.fr

Une chambre de veille, surmontée d'un mât de signaux, a remplacé la lanterne du phare. De part et d'autre du portail d'entrée de l'enclos, les bâtiments ayant abrité les logements des gardiens du phare, maintenant occupés par les guetteurs du sémaphore. 

La carte marine de 1877, rééditée en 1902 et corrigée en 1907 tient compte de ces modifications: elle signale le nouveau sémaphore établi dans l'ancien phare et l'ancien sémaphore.

"Carte particulière des côtes de France / Chaussée de Sein et passage du Raz de Sein" publiée en 1877. Réédition de 1902, corrigée en 1907. Source SHOM 

C'est vers cette époque, au tournant du 19° et du 20° siècles que le (nouveau) sémaphore est équipé d'une station de T.S.F. (télégraphie sans fil) permettant de communiquer avec les navires en mer, avec la Préfecture maritime ou les stations de sauvetage.

Cette carte postale nous montre, sur la gauche, le bâtiment abritant les équipements de T.S.F et le mât supportant l'antenne. Le mât de signaux qui se trouvait sur la chambre de veille du sémaphore a été supprimé.

Fin 1899, l'ancien sémaphore devenu inutile, est vendu à un dénommé Séchez pour être transformé en hôtel ("L'œil de l'Atlantique", ouvrage collectif, page 13). L'ancienne chambre de veille est convertie en salle à manger, un étage est ajouté aux anciens logements des guetteurs et un bâtiment annexe est construit. 

Journal La Presse. 20 février 1900. Source: gallica.bnf.fr

Rebaptisé Hôtel de la Pointe du Raz, l'Hôtel Séchez est racheté en 1907 par Lucien Lapous, déjà propriétaire de l'Hôtel du Commerce sur le quai à Audierne (anciennement Hôtel Batifoulier puis Courtemanche). 

Mise en vente de l'Hôtel de la Pointe du Raz. La dépêche de Brest, 11 août 1907. Source: gallica.bnf.fr

La légende de cette carte postale précise que l'Hôtel de la Pointe du Raz est l'ancien sémaphore. A droite, on voit l'extrémité de l'ancienne chambre de veille transformée en salle à manger.

En 1930, alors que son concurrent l'Hôtel du Raz de Sein, succursale de l'Hôtel de France à Audierne, a obtenu son raccordement téléphonique au (nouveau) sémaphore dont il est relativement proche, Lucien Lapous demande en vain le raccordement de son hôtel.

La Dépêche de Brest, 23 janvier 1931. Source: gallica.bnf.fr

En 1939, l'ancien sémaphore, devenu l'Hôtel de la Pointe du Raz, est délabré ("L'œil de l'Atlantique",page 12). Concurrencé par d'autres hôtels construits plus près de la pointe, il est probablement laissé à l'abandon, les époux Lapous ayant fait bâtir un nouvel établissement à proximité du nouveau sémaphore. 

Le nouvel Hôtel de la Pointe du Raz. On aperçoit, à droite de cette carte postale, une partie des logements des guetteurs du nouveau sémaphore.

Toutes les informations qui suivent, relatives à la situation du sémaphore et de ses abords pendant l'Occupation, proviennent de l'ouvrage collectif "L'œil de l'Atlantique - Guerre des ondes - Guerre de l'ombre " de 2017. (5)

L'ancien sémaphore, devenu l'Hôtel de la Pointe du Raz, ou du moins ce qu'il en reste (un bâtiment annexe), est néanmoins réquisitionné par l'occupant allemand dès 1940, et détruit en octobre 1942. La propriétaire, Anastasie Kérisit, veuve de Lucien Lapous, décédé en 1935, réclame une indemnisation. 

Correspondance de la Feldkommandantur avec le préfet du Finistère. 28 octobre 1942. Source: Archives départementales du Finistère.

La pointe du Raz, par sa position stratégique intéresse les troupes allemandes qui s'y installent en nombre. Le 15 août 1940, c'est un détachement de l'armée de terre qui occupe le sémaphore, et qui sera remplacé, en mars 1941, par la Kriegsmarine ("L'œil de l'Atlantique",page 48). Des radars de la Luftwaffe et de la Kriegsmarine sont installés sur la Pointe du Raz.

Le sémaphore, où une station météo est installée, reçoit une pièce de DCA au-dessus de la chambre de veille.

En août 1944, devant l'avancée des troupes alliées, les allemands détruisent les stations de radars et les autres installations. Seuls les aménagements intérieurs du sémaphore sont incendiés, mais ses bâtiments annexes, comme les logements de guetteurs et la station TSF, sont brûlés ou dynamités. Les hôtels environnants sont ravagés par les flammes.

La remise en état du sémaphore est en cours en septembre 1946. Les guetteurs y ont repris leur activité.

Le sémaphore vu de l'Est. 12 mai 1949. Gabriel Ruprich-Robert. Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP

Au cours des années 1950-1960, ses abords sont débarrassés des ruines des hôtels et des anciens logements de guetteurs. Peu à peu, autour du sémaphore, de nouveaux aménagements liés aux activités touristiques se réimplantent de façon plus ou moins anarchique: boutiques de souvenirs, buvette, parking ... 

Au cours des années 1960, les équipements extérieurs du sémaphore restent sommaires.

Le sémaphore vu de l'Ouest dans les années 1960-1970. Archives départementales du Finistère.

En 1962, une cité commerciale est construite à l'est du sémaphore, ainsi qu'un nouvel hôtel, un musée des calvaires et un immense parking.

Dans la première moitié des années 1970, une nouvelle chambre de veille aux larges baies vitrées est construite au-dessus de la précédente .  

Au milieu des années 1990, une nouvelle cité commerciale ainsi qu'un nouveau parking sont construits 800 mètres à l'Est de ceux de 1962 qui sont détruits. Le sémaphore retrouve alors l'isolement qui fut celui du phare au 19° siècle.

 

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