L'épave du Marie-Simone
Bien des habitants du Cap Sizun connaissent l’épave du Marie-Simone, échouée au bout de la plage de Trescadec, à Audierne, tout près de la jetée du Raoulic, et que les grandes marées remettent périodiquement au jour, attirant touristes et curieux, comme ce 29 septembre 2019 en fin de matinée (coefficient 115)
Si chacun sait plus ou moins que le Marie-Simone, chalutier de La Rochelle réquisitionné par la marine allemande lors de la Seconde guerre mondiale, s’est échoué à cet endroit lors d’un combat naval en août 1944, en connaît-on vraiment toute l’histoire ?
Ce bâtiment est construit en 1918 à Port-Arthur, en Ontario (Canada) par la ”Port Arthur Shipbuilding Company”, et mis en service en mai 1919. Il fait partie de la série TR. A l’époque, il a pour nom TR-41 (1).
Les navires de la série TR sont des patrouilleurs construits à la demande de la Royal Navy, et ils sont prêtés à la Marine royale canadienne pour la défense de la côte est du Canada. Basés sur le modèle de la classe de navires ”British Castel”, certains entrent aussi en service dans la marine américaine pendant la guerre. Polyvalents, ils peuvent également être utilisés comme dragueurs de mines et pour la lutte contre les sous-marins (2).
Le TR-1 (il sera vendu en 1926 à la Marine royale néo-zélandaise, et renommé Wakakura)
Longs de 38 mètres, jaugeant environ 280 tonnes, ils sont équipés d’un moteur à vapeur de 480 chevaux, et armés d’un canon de 3 pouces (76,2 mm).
Le TR-9 (sera vendu en 1920 et renommé Somersby en Ecosse)
Après la Première Guerre mondiale, certains sont vendus à des armateurs privés pour remplacer les navires de pêche perdus pendant le conflit.
C’est ainsi qu’en juillet 1920, les ”Pêcheries et Armements La Rochelle-Océan” (PARO) achètent le TR-41, le convertissent en chalutier et le rebaptisent Marie-Simone, immatriculé LR 2408.
Registre de la Lloyd pour 1931-32
De novembre 1920 à novembre 1926, l’armateur achète 10 autres anciens patrouilleurs de la classe TR qu’il rebaptise tous d’un prénom composé comportant Marie : Marie-Anne (ex TR-43), Marie-Gilberte (ex TR-42), Marie-Thérèse (ex TR-53) , etc.
Le Marie-Anne ex TR-43
En 1932, les ”Pêcheries et Armements La Rochelle-Océan” (PARO) intègrent la ”Société Nouvelle des Pêcheries à Vapeur” (S.N.P.V) dirigée par François Menu.
Selon les registres de la Lloyd, en 1936, le Marie-Simone passe, avec d’autres chalutiers du même type (Marie-Thérèse et Marie-Yette), à un nouvel armateur, simplement dénommé ”La pêche en mer”.
Registre de la Lloyd pour 1936-37
Le Marie-Yette ex TR-40
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, nombre d'entre les navires de la série TR sont repris par la Royal Navy en tant que dragueurs de mines auxiliaires et deux d'entre eux reviennent dans la Marine royale canadienne.
En 1939, à la déclaration de guerre, la marine française réquisitionne une multitude de navires de commerce et de pêche. A La Rochelle, le 14 septembre 1939, c’est le cas pour quatorze chalutiers à moteur et seize chalutiers à vapeur. Si certains d’entre eux, bien que réquisitionnés, sont maintenus à la pêche avec leurs équipages pour approvisionner le pays en poissons, d’autres, comme le Marie-Simone, désormais identifié comme AD 110, sont convertis en patrouilleurs (AD pour Arraisonneur/Dragueur), tout en restant propriété de leurs armateurs. (3).
Ainsi, la Lloyd mentionne encore le Marie-Simone comme appartenant à l’armateur ”La pêche en mer” jusque dans ses registres de 1940-41.
Registre de la Lloyd pour 1940-41
Dans ceux de 1941-42, il passe au nom de ”F.E . Menu (Association Rochelaise de Pêche à Vapeur)”.
Registre de la Lloyd pour 1941-42
Dès le 23 juin 1940, La Rochelle est investie par l’armée allemande qui saisit à son tour quatorze chalutiers à moteur et douze chalutiers à vapeur. A l’instar de l’armée française en 1939, l’armée allemande maintient certaines unités à la pêche et en transforme d’autres en navires de guerre auxiliaires, dragueurs de mines et patrouilleurs.
C’est le cas du Marie-Simone, converti en 1941 en patrouilleur de la Kriegsmarine, sous le matricule HS8, et équipé d’un canon de 88 mm et de canons antiaériens (4).
Le Marie-Simone, converti en patrouilleur de la Kriegsmarine.
En mai 1942, il est incorporé à la 7ème Vorpostenflottille (flotille de patrouilleurs) affectée à la côte atlantique, sous le matricule V-729. (5)
Peu après le débarquement des alliés en Normandie, alors qu’une partie de la 7ème Vorpostenflottille est basée à Brest, les marines anglaise et canadienne organisent un blocus des côtes de la Manche et de l’Atlantique.
C’est ainsi que, début août 1944, le V-729, ex Marie-Simone, est engagé dans un premier combat avec la marine canadienne :
« Dans la nuit du 5 au 6, les sous-marins U 212 et U 309 appareillent de Brest vers la Manche, escortés par 6 unités, les patrouilleurs V-713 ex Leipzig, V-715 ex Alfred I, V-728 ex Vierge de Massabielle, et V-729 ex Marie Simone de la 7e Vorpostenflottille ainsi que par les dragueurs M-4013 et M-4045 de la 40 MSF. Vers 1h40 à la sortie du champ de mines allemand au large d'Ouessant, toutes ces unités sont interceptées par une force composée de 4 destroyers canadiens qui étaient engagés dans une opération de lutte anti sous-marins. Aussitôt, les destroyers ouvrent le feu et touchent dès les premières salves le V-715, blessant grièvement le Leutnant z.S. Thiess son commandant. Dans le même temps, la flottille allemande riposte courageusement au feu allié et après 30 minutes de combat acharné, finit par obliger les destroyers à décrocher tandis que les sous-marins se cachent dans les profondeurs. Outre le V-715 qui est en feu de la proue à la poupe, les patrouilleurs V-728 et V-729, sont également très endommagés mais parviennent à rejoindre Brest tandis que le V-715 sera abandonné vers 6 heures du matin finissant par couler dans l'entrée sud du Chenal du Fromveur. Les rescapés dont le Lieutenant Thiess furent repêchés par deux S-Boote. » (6)
Brest est assiégé le 7 août 1944. [Pour l'essentiel, ce qui suit est tiré des articles d'Alain Le Berre, "Les combats d'août 1944 en baie d'Audierne" parus dans les n° 2,3,4 et 5 de la revue Cap Caval) (7)]
Le commandement de la marine allemande en Bretagne décide que les quelques patrouilleurs de la 7ème Vorpostenflottille qui s’y trouvent encore (sans doute discrètement abrités au fond de la rade, dans l’anse de Landévennec) doivent rallier Lorient, l’autre grand port de l’Atlantique encore aux mains de son armée.
Deux convois sont programmés pour la nuit du 22 au 23 août. Le premier convoi est composé des 3 unités les moins rapides : le V-711 ex Senator Predhöl, le V-717 ex Alfred III et le V-729 ex Marie-Simone. Le second convoi, qui appareille une heure et demie plus tard, est composé de quatre unités plus récentes et plus rapides : le V-702 ex Memel, le V-719, le V-721 et le V-730 ex Michel-François.
Mais le blocus par les marines britannique et canadienne est toujours actif. Le croiseur Mauritius (britannique) et les destroyers Ursa (britannique) et Iroquois (canadien) constituant la Force 27, sont chargés de patrouiller entre l’embouchure de la Gironde et la chaussée de Sein. Alors qu’il longe la côte devant Plogoff, le premier convoi est détecté au radar par l’Iroquois. C’est après qu’il ait passé la pointe de Lervily que le convoi allemand détecte à son tour la formation anglo-canadienne. A 2 heures, l’Iroquois tire ses premiers obus à charge éclairante, bientôt imité par le Mauritius.
Le V-711 et le V-717 se jettent alors sur le haut fond de la Gamelle, tandis que le V-729 ex Marie-Simone se dirige vers l’entrée du port d’Audierne. Les marins allemands ripostent, mais leur armement est dérisoire face à celui des navires britanniques et canadien. Un déluge d’obus va s’abattre sur les deux patrouilleurs immobilisés sur la Gamelle.
Au petit jour, le destroyer canadien Iroquois (ici à gauche de la photo), s'apprête à torpiller un patrouilleur allemand immobilisé sur la Gamelle (ici au centre de la photo). Photo prise depuis le croiseur anglais Mauritius. (archives de l'Amirauté britannique)
Le V-729, ex Marie-Simone, lui aussi touché, va s’échouer à côté de la jetée du Raoulic, l’arrière face au rivage.
Les survivants des équipages des trois navires allemands (certains de ceux des patrouilleurs V-711 et V-717 ayant gagné le rivage à la nage ou à bord de canots) gagnent le bastion allemand de Lezongar à Esquibien, dont le personnel attend d’être évacué. Une cinquantaine de morts sont inhumés dans un cimetière provisoire à proximité du bastion.
Moins de deux heures après ce premier combat, c’est le second convoi de patrouilleurs allemands qui devra affronter la Force 27 devant Plozévet et Pouldreuzic. Mais ceci est une autre histoire.
Le bastion allemand de Lezongar tombe le 20 septembre à l’arrivée des troupes américaines.
Sur cette photo où l'on voit des soldats américains face à des soldats allemands du bastion de Lezongar sur la dune de Trescadec, on aperçoit en arrière-plan le V-729 ex Marie-Simone échoué devant le môle du Raoulic.
Après la libération, l’armateur propriétaire du Marie-Simone n’entend pas reprendre possession de son chalutier et préfère demander un dédommagement à la marine française qui l'avait réquisitionné en septembre 1939.
Devenue propriété des domaines de l’Etat, l’épave du Marie-Simone est mise en vain aux enchères en décembre 1947, puis en janvier 1948. Elle est enfin vendue en décembre 1948 à un ferrailleur qui en découpe une partie et laisse le reste en place. (8)
Au fil du temps, ce qui reste de ce navire continue de se dégrader sous l'effet de la corrosion, de la houle et des tempêtes.
Photos aériennes de l'épave du Marie-Simone: